Le Val-Ouest

Bye bye gazon

Il faut le fertiliser, l’arroser et le couper régulièrement…

On le cultive généralement en monoculture alors que les mauvaises herbes qui le recouvrent sont religieusement arrachées. Plusieurs y portent même un amour viscéral, en lui donnant un statut de prestige, offrant plusieurs heures de travail chaque semaine. Mais pourquoi le gazon a-t-il atteint un tel statut de plante souveraine sur les terrains résidentiels? Le Défi pissenlit est un premier pas qui démontre le lent changement des mœurs et de notre relation au gazon, alors que plus en plus de gens sont à la recherche d’alternatives plus écologiques pour ajouter de la biodiversité au paysage tout en réduisant es intrants et les heures de travail passées pour s’occuper du terrain. Reportage.

C’est lorsque que son tracteur à gazon a commencé à avoir de problèmes, il y trois ans, que Pascal Fradet a pris la décision de s’éloigner le plus possible du gazon traditionnel. « J’ai commencé à mettre des bâches sur certaines zones pour étouffer le gazon », dit-il. En laissant les bâches quelques semaines au sol, la majorité du gazon meurt et d’autres plantes viennent par la suite combler le vide.

128 000 kilomètres carrés de gazon

Sur son terrain situé sur la pointe Saint-Méthode, un secteur de villégiature à Saint-Félicien, qui fait 3250 mètres carrés, il laisse aussi libre cours à la nature à plusieurs endroits. « Je tonds quand même mon gazon à l’avant pour faire plaisir aux voisins, mais je le fais parfois de manière anarchique », lance-t-il en riant.

Éventuellement, il compte utiliser un rotoculteur pour accélérer la transition en plantant différentes plantes comestibles et en semant des arbres.« Ça n’a pas de bon sens de mettre autant de travail pour une monoculture qui nous vient historiquement de la royauté et de la noblesse anglaise », remarque Pascal Fradet, avant d’ajouter que le gazon est la plus culture arrosée aux États-Unis.

En effet, une étude menée par le groupe Milesi en 2005 pour le compte de la NASA avait démontré que la pelouse couvrait une superficie de 128 000 kilomètres carrés, soit trois fois plus que les cultures de maïs à l’époque, ce qui en faisait la plus grande culture irriguée. Mais comment une petite plante d’allure aussi banale est-elle devenue reine dans les milieux résidentiels.

La petite histoire de la pelouse

Selon feu Larry Hodgson, aussi connu sous le nom de jardinier paresseux, l’histoire de la pelouse remonte prés communaux du Moyen-Âge qui servait de nourriture aux animaux. Broutés par les animaux, les jardins demeuraient courts, ce qui permettait de mieux voir venir l’ennemi, ce qui a plu à l’aristocratie, puis à la royauté.C’est l’arrivée de la tondeuse, au milieu du 19e siècle, qui a permis de démocratiser la pelouse à la classe bourgeoise et à la classe moyenne, car le coût d’entretien a alors chuté drastiquement. D’abord à la campagne, puis en ville et en banlieue, la pelouse a conquis le territoire.

Maintenir et couper la pelouse est même réglementé par les municipalités pour éviter la « nuisance » au voisinage. La plupart, comme c’est le cas à Alma, Saguenay et Saint-Félicien, demandent de couper le gazon régulièrement, sans préciser de taille maximale, se dotant d’un outil pour intervenir s’il y a des cas problématiques.À d’autres endroits, une hauteur maximale est exigée dans les règlements municipaux, se situant à 30, 20, voire 10 centimètres, comme c’est le cas à Sallaberry-de-Valleyfiled.

Aucun bénéfice environnemental

Pourtant, le gazon n’offre aucun bénéfice environnemental, souligne d’emblée Émilie Lapointe, biologiste et coordonnatrice du projet Canopée et biodiversité Saguenay pour le groupe Eureko, un organisme engagé dans la protection et la restauration des écosystèmes. « Les gens sont obsédés par le concept de pelouse verte comme sur les green de golf, mais c’est une plante qui demande énormément d’entretien, d’eau et produits chimiques qui sont dommageables pour le sol et la nappe phréatique », dit-elle.

De plus, il faut brûler des gaz à effet de serre pour le tondre, il faut l’arroser régulièrement avec de l’eau potable traitée par le réseau municipal, et il ne retient pas l’eau de pluie, sans compter qu’il ne fournit aucune nourriture pour les pollinisateurs.

Un des rares points positifs au gazon est qu’il résiste bien au piétinement, ajoute-t-elle. L’idée n’est pas d’éliminer complètement le gazon, mais de réduire la superficie qu’il recouvre pour augmenter la biodiversité, tout en réduisant la quantité d’eau utilisée pour l’arrosage et l’utilisation des intrants.

Les gazons réglementés

Avec les épisodes sécheresse de plus en plus sévères, la Californie a imposé de nouvelles restrictions en ce qui a trait à l’utilisation de l’eau. Plusieurs districts californiens subventionnent même les citoyens, jusqu’à six dollars par pied carré, pour enlever le gazon pour y implanter des plantes plus résistantes… ou pour y mettre du gazon synthétique.

L’État du Nevada a aussi adopté une loi pour interdire le gazon sur une portion de son territoire, forçant la conversion pour des plantes mieux adaptées. Au Québec, le gazon règne aussi en roi et maître sur les parterres résidentiels. Dans le Guide d’implantation et d’entretien d’une pelouse durable, qui date de 2008, on souligne « que les pelouses couvrent plus de 200 000 hectares au Québec et représentent une valeur monétaire estimée à plus de 100 millions de dollars annuellement.  À titre comparatif, les deux cultures les plus importantes au Québec couvriront chacune près de 370 000 hectares de soya et de maïs-grain cette année.

Mine de rien, les Québécois sont donc nombreux à cultiver une petite monoculture dans leur cour. Réunis ensemble, c’est une des plus grandes monocultures au Québec. Même s’il n’y a pas de règlements pour interdire ou remplacer le gazon, des municipalités comme Québec et Drummondville veulent être des leaders en démontrant aux citoyens les options disponibles (voir autre texte).

Le Défi pissenlit

Depuis quelques années, des initiatives voient maintenant le jour pour diversifier le paysage, dont Défi pissenlits, aussi connu sous le nom de Défi mai sans tondeuse. Ce mouvement international vise à faire la promotion de l’importance des insectes pollinisateurs, en invitant les citoyens sont invités à laisser pousser leur gazon et les « mauvaises herbes » productrices de fleurs, dont les pissenlits.

Plusieurs organismes font la promotion de cette initiative, dont Conservation de la nature Canada. « Beaucoup de gens ont décidé de participer en laissant pousser leur pelouse et on veut les accompagner à poser des petits gestes pour la conservation », souligne Caroline Gagné, directrice de programmes pour l’ouest du Québec à Conservation de la nature Canada.

Laisser pousser la pelouse et les pissenlits pendant un mois, c’est bien, mais il est possible d’en faire plus pour bonifier la biodiversité locale en laissant la végétation pousser, en plantant des arbres, des plantes et des fleurs, de préférence indigène. « Chaque petit geste compte pour améliorer l’écosystème urbain », dit-elle.

Des alternatives concrètes au gazon

Prés fleuris, aménagements comestibles, plantes rampantes, tontes moins fréquentes et laisser-aller sont tous des options pour remplacer graduellement le gazon, en ajoutant de la résilience et de la diversité à son aménagement.

« Le concept de base et le plus simple sont de laisser faire la nature et d’arrêter de se battre avec la nature », souligne Émilie Lapointe, d’Eureko.  « En éliminant les fertilisants, les herbicides et l’arrosage, les plantes tolérantes à la sécheresse s’implanteront toutes seules ».

Réduire le nombre de coupes est aussi une excellente option pour faire un pas dans la bonne direction, car avec le temps, ce sont les plantes, les mieux adaptés qui survivront. « Plus l’herbe est longue et plus elle peut capter la rosée, ce qui la rend plus tolérante à la sécheresse », ajoute-t-elle. « Un gazon court ne doit pas être une obsession et on peut laisser pousser d’au moins 10 centimètres avant de couper ». Pour accélérer le processus de changement, il est aussi possible de semer des graines qui viendront coloniser la pelouse, comme l’achillée millefeuille ou les marguerites.

Différents mélanges d’écopelouse, qui contiennent par exemple du trèfle, du thym, des graminées et des fleurs, sont aussi offerts dans les centres jardins. L’entreprise québécoise Aiglon Indigo offre notamment plusieurs options intéressantes.

Émilie Lapointe a elle-même entrepris d’ajouter de la diversité sur son terrain situé dans un quartier résidentiel de Saguenay. « J’ai transformé une grande zone pour y implanter des espèces comestibles », dit-elle.  Au lieu d’une zone gazonnée, on y retrouve maintenant des arbustes fruitiers, des fines herbes et des fraises.  Ailleurs sur le terrain, ce sont les fleurs sauvages qui poussent et le gazon est laissé plus long sur les marges.

Réduire le travail

Andrée Pelletier et Maurice Maltais pensaient à éliminer le gazon depuis plusieurs années sur leur façade devant leur maison située à Saint-Jean-Chrysostome. Un problème de drain, qui a obligé de creuser pour dégager le renvoi d’eau, a fourni le prétexte pour le changement.

« On voulait avoir le moins d’ouvrage possible », lance Maurice Maltais. « On ne capote pas sur le gazon et il ne poussait pas très bien chez nous », ajoute Andrée Pelletier. Le couple a choisi de travailler avec une paysagiste, Marie-Joëlle Saucier, pour développer un concept de renaturalisation dans un aménagement en paliers. Au lieu du gazon, ce sont des plantes indigènes, dont des fougères et hémérocalles qui ont été mises en terre en 2019. « On a eu quelques pertes et il faut attendre quelques années avant d’avoir un résultat optimal, mais ça en valait le coup, parce que c’est très beau », note cette dernière.

Implanter des plantes comestibles à la place du gazon

Pour Claudine Lafontaine, une résidente de Lévis, le projet de conversion visait plutôt l’implantation de plantes comestibles. « Je voulais quelque chose de plus intéressant que du gazon, et qui allait me donner des fruits ou des légumes », dit-elle, ajoutant que l’aménagement amène désormais à la découverte, un attrait intéressant pour les enfants.

Cette dernière a également été épaulée par Marie-Joelle Saucier pour réaliser son aménagement en forme de mosaïques. « La demande est de plus en plus forte pour des projets nécessitant un faible entretien en éliminant le gazon », dit-elle.En plus des exemples cités ici haut, elle préconise aussi l’implantation de plantes rampantes, comme le thym, pour couvrir le sol, ou encore de prés fleuris. « Je cherche à créer des concepts pour que ça soit intéressant pour l’esthétisme aussi », ajoute la paysagiste, qui implante elle-même les recettes qu’elle préconise pour ses clients.

Selon elle, on ne devrait pas s’entêter à arroser, désherber et bichonner le gazon. « Ce n’est plus au goût du jour avec les problématiques que l’on vit », dit-elle en parlant notamment de biodiversité et d’adaptation aux changements climatiques.

Un vent de changement dans les municipalités

Des municipalités et des organismes souhaitent conscientiser la population à l’importance de réduire les besoins en eau tout en diversifiant le paysage. Pleins feux sur des projets visant à changer les mœurs et miser sur autre chose que le gazon.

L’an dernier, Drummondville s’est lancé dans un projet innovant, en remplaçant le gazon par d’autres espèces sur une dizaine de sites municipaux. « Depuis 2022, un règlement bannit l’utilisation de pesticides et dans un contexte où l’on cherche à économiser l’eau potable, on a lancé un projet-pilote en créant des vitrines de démonstration de couvert végétal alternatif », explique Marie-Ève Vadnais, la coordonnatrice de l’environnement.

À certains endroits, la ville a voulu créer des aires de biodiversité en arrêtant la tonte. Ailleurs, ce sont des aires de plantations qui ont vu le jour, avec l’apparition de prés fleuris, de zones couvertes par le trèfle blanc, le thym serpolet ou d’autres espèces.

Bye bye gazon pour favoriser la biodiversité

La diversité a rapidement augmenté. Alors qu’on trouvait jadis 3 ou 4 espèces, on en dénombre maintenant plus d’une vingtaine. Les oiseaux sont plus présents et les citoyens sont curieux d’en apprendre plus sur le sujet.« On fait différents tests pour voir ce qui peut se maintenir selon certaines conditions, note Marie-Ève Vadnais. Notre but est aussi de proposer des alternatives à la population, pas juste pour changer pelouse, mais pour diversifier les aménagements, afin d’être plus résilient aux changements climatiques et aux ravageurs, tout en économisant l’eau potable. »

Plusieurs citoyens sont fiers de cette initiative et veulent implanter des projets similaires à la maison. Pour faciliter l’accès à l’information, la ville a d’ailleurs produit une carte interactive. L’appui du conseil municipal a été important pour la réalisation de ce projet, alors qu’un budget de 50 000 dollars y est dédié. Le projet amène toutefois des économies, car les aménagements ne nécessitent pas ou peu de tonte. D’ailleurs, le dernier volet du projet, qui se poursuit cette année, vise à réduire le nombre de tontes à plusieurs endroits, ce qui fait économiser sur la main-d’œuvre et la production de gaz à effet de serre.

Québec se lance

La ville de Québec a aussi enclenché un processus de changement des mœurs depuis l’implantation du règlement qui bannit l’usage des pesticides. La ville offre notamment des ateliers sur l’entretien écologique des pelouses. « Les citoyens demandaient des activités du genre pour être mieux outillés et pour faire plus de place aux espaces verts et à la biodiversité », soutient Florence Boudreau-Pineault, conseillère en environnement à la Ville de Québec.

Les ateliers offerts Édith Smeesters, biologiste et auteure, permettent de découvrir des alternatives et des solutions plus écologiques pour réduire la consommation d’eau tout en créant un milieu de vie plus intéressant et plus diversifié. Les deux premiers ateliers offerts en ligne ont permis ont été si prisés que deux autres dates ont été ajoutées.

La ville souhaite aussi démontrer l’exemple en implantant des alternatives à la pelouse. Deux projets seront d’ailleurs réalisés au cours de l’été en partenariat avec Hydro-Québec, un à l’angle du boulevard Saint-Jacques et de l’autoroute Robert-Bourassa, et un autre à Beauport, près de la rue Montpellier.

La ville compte aussi revoir sa réglementation qui limite actuellement la hauteur du gazon à 20 centimètres. « On veut revoir ce règlement qui peut être limitatif dans l’implantation de jardin de biodiversité, lance Florence Boudreau-Pineault. On veut s’adapter tout en gardant un moyen pour agir en cas de négligence ».

1 million de dollars pour revégétaliser Saguenay

En 2020, Eureko a lancé le projet Canopée et biodiversité Saguenay, grâce à un financement offert par Plan pour économie verte du gouvernement du Québec. Ce projet a permis de transformer plusieurs terrains gazonnés (et aussi des stationnements) en terrains végétalisés, explique Émilie Lapointe, la coordonnatrice du projet. Par exemple, le gazon sur un talus gazonné de l’Office municipal d’habitation (OMH), qui était difficilement accessible et dur à tondre, a été remplacé par des plantes herbacées, des arbustes et des arbres. « Après un an, ça ressemble déjà à une petite forêt et on a reçu pleins de bons commentaires », note la biologiste.

En tout et partout, 37 projets de verdissements ont été réalisés sur des terrains de CHSLD, écoles, organismes communautaires, garderies et OMH et 11 228 végétaux ont été plantés, dont 760 arbres.

Mine de rien, les mentalités sont en train de changer, mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour laisser plus de place à la nature, conclut Émilie Lapointe.

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