Le Val-Ouest

L’Avalé du Val – Les traces

La saison de ski est morte, un soleil-épée l’a transpercée et la pluie-dormeuse l’a achevée dans une lente et douce agonie…

J’ai pu faire mes dernières randonnées sur une neige bien sucrée, assailli par la lumière, sans manteau, sans tuque, entouré d’érables sous sondes ou greffés de seaux remplis d’eau.  Je n’ai pas osé y mettre mes lèvres, goûter le métal et puis l’eau, entendre mon souffle résonner, la tête entrée dans cette mini-caverne fuselée: j’ai eu peur d’attraper un microbe.

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La peur nous coupe de notre enfance.

Plus tôt, dans le mois, quand, sous une intense lumière de scène, la neige a fait sa dernière parade, j’ai pu assister aux drames forestiers qui surviennent quand s’achève l’hiver.  C’est un spectacle subtil, indirect, rarement frontal.  C’est un spectacle-signes où l’action n’est jamais montrée, mais plutôt révélée, après coup, par ses traces laissées et allusives.

Dans le grand ravage qui joint Racine et Valcourt, les chevreuils, au printemps, sont à bout d’énergie.  Une chasse intense commence.  La forêt devient agitée, les poursuites se multiplient.  La peur, l’espoir et le salut s’écrivent sur la neige.  Une histoire est racontée.  L’intrigue est floue, mystérieuse, codée, mais vraie : les preuves sont là!  À quelle heure la terreur s’est-elle amenée? À quelle heure la mort a-t-elle sonné?  Je me crée un film à partir de ces traces alignées, diverses dans leur forme et leur direction.  Qui sont les protagonistes? Un lièvre, un coyote, un chevreuil?  Qui sait, peut-être un lynx, un cougar, un loup?  Ici, un amas de traces a creusé la neige, un être a frôlé la mort.  Quelle bataille!  Quelle fureur!  La lutte se poursuit entre les sapins en un chapelet de traces, une piste dentelée.

Le spectacle s’immisce dans ma tête, blanc, léger, vaporeux, jamais fixe, mais pourtant inscrit là, concrètement, comme un mot sur une page.  Une trace venue d’une autre, sur ma rétine, un éblouissement, un flash, un écho de ce qui fut.  Le souvenir d’un souvenir.  Une image qui flotte, éphémère, et qui dure pourtant à travers son propre effacement.

Je glisse dans la Maurice en me faisant toutes ces accroires poétiques.  Les arbres me suivent du regard, je me demande s’ils ont envie de rire.  Moi, ça me fait rire.  Le rire me sort de l’imaginaire et me remet sur la track.  Il me donne un élan pour la suite, me fait passer à autre chose.  Rien n’a jamais tant d’importance.  Je ris.  Je ris aux larmes en glissant dans la forêt.  Les animaux cessent leur lutte et me regardent passer.

* * *

Les oiseaux.  Il est 18h, le 22 mars, je roule à vélo dans la Grande ligne, c’est ma première sortie, je vois la perdrix, elle est sortie de son trou, elle traverse le chemin et s’envole.  Il est 11h, le 24 mars, je roule en voiture vers Nicolet, les oies blanches, par milliers, survolent le Pays brulé, le rang où mon père est né.  Il est midi et quart, le 25 mars, une volée d’outardes s’amène au-dessus de l’hôpital de Nicolet, c’est leur troisième passage, elles sont venues chercher mon père qui s’envole avec elles.  Je t’aime papa.

 

Lire la chronique précédente : L’Avalé du Val – Mon cœur est une perdrix

 

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