Sortie tardive
Comme si tout ça allait de soi.
En vérité, je n’écoute presque jamais de musique classique. Je n’arrive pas à l’apprécier. J’ai essayé, j’ai même sorti jadis avec une violoniste classique qui trippait sur Schumann, le grand romantique. Ça n’a pas duré, allez savoir pourquoi…
J’ai pourtant l’intuition que la musique classique peut toucher l’âme comme aucune autre forme artistique, de façon globale, enveloppée. Holistique. Une sorte de synthèse ressentie du corps et de l’esprit, de la matière et de l’immatériel.
Mais je n’en sais rien, n’y connais rien. Ma tranquillité, ici, est factice.
Pourtant, je parle encore, je pavoise, je claironne, je m’autorise une parole au nom d’un faux savoir, d’une mise en scène bancale de ma propre ignorance.
Une vielle amie, vaguement freudienne, disait: on parle, au fond, de ce qui nous dérange, de ce qui nous irrite; toute parole cache le sous-texte de profonds conflits en soi.
Ma mère disait, elle: on parle toujours de soi, surtout quand on parle des autres.
Les bons écrivains conseillent tous: parle de ce que tu connais!
J’écoute Chopin. Je suis seul. Mon vélo piaffe dans la remise.
Je pense à Marguerite Duras qui parle du livre. Le livre qui surgit un jour en elle au moment où elle est prête à l’écrire. Je pense à sa façon d’écrire si habitée. Je pense à Anaïs Nin qui écrivait comme elle aimait, comme elle éprouvait. Je pense à des femmes. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être parce qu’elles en connaissent plus que moi.
Parle de ce que tu connais …
Chopin s’est tu.
* * *
Parle de ce que tu connais.
Je connais le sentiment de liberté que de monter sur mon vélo, m’asseoir sur la selle, clipper mes souliers à mes pédales, prendre de la vitesse et sentir le vent. Je connais le premier tournant de la piste cyclable, je sais à quelle vitesse le prendre et le privilège que d’y être. Je sais à peu près où vit le gros porc-épic près du grand érable déraciné. Je connais le pré caché qu’on peut rejoindre à gauche en passant sur un petit pont de planches pourries; c’est à ce pré que je pense quand Jean Ferrat chante Mourir au soleil.
C’est lui, Ferrat, sa musique, qui m’amène à la conclusion de ce texte chambranlant comme une veille grange en plein champ.
Ferrat que mon père aime tant.
Nicolas Proulx
Racine, le 12 octobre 2020