Le Val-Ouest

CHRONIQUE L’AVALÉ DU VAL – UN VISAGE

 

Un visage

Parfois j’imagine qu’un visage est un paysage. Que la couleur de la peau est comme celle de la terre, que les joues sont des vallons, le nez une colline, l’espace en dessous une vallée, les lèvres des rives, la voix le vent qui souffle. Et les yeux la lumière.

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Ou la mémoire…

* * *

Ça te déranges-tu si je ferme la porte? C’est pour mieux s’entendre. Attends, je vais aller chercher la chaise pliante dans le garde-robe. Voilà. Je m’approche. Tu peux me donner ta main. Est douce ta main. C’est ma visite hebdomadaire p’pa. Je suis venu te dire bonjour comme chaque semaine. Quoi? Non, non, je suis pas envoyé par le Premier Ministre, je suis juste venu jaser, tout va bien, r’garde, on est en septembre. Tu reconnais-tu ça sur le calendrier? Attends, je vais aller le chercher…

R’garde, qu’est-ce que tu vois? Ici, sur la photo, ici en haut? Des fruits, c’est ça. Des pommes. On est au temps des pommes. T’étais pas un gros mangeur de pommes me semble? Tu trouves ça drôle? C’est vrai, je t’ai pas souvent vu croquer une pomme. Croquer une pomme. Une pomme, comme ça. Crrrroc! C’est pas évident avec le masque…

Pis, comment ça va aujourd’hui? Quoi? J’vais fermer le ventilateur, attends…

Tu disais quoi? T’aimerais ça qu’on prenne une bière? Wow! Ça te fait rire? On pourrait, mais faudrait tricher par exemple, faudrait que j’enlève mon masque. Non, pas mon casque, mon masque. Faudrait que j’enlève mon masque pour boire de la bière. Ça là, dans ma face: un mmmasque… On pourrait faire un tour d’auto dans les couleurs en octobre, pis s’en déboucher une bonne à quekpart. T’as pas compris? Partir en auto pour aller prendre une bière. On pourrait aller sur le bord de la St-François, à St-Joachin. Saint-Jouachhhin. T’en dirais quoi? Trouves-tu que c’est une bonne idée d’aller prendre de la bière ensemble? T’es d’accord? On va s’arranger pour faire ça. On ira dans le rang St-Jean-Baptiste, près de la Ferme du Bassin. C’est là que t’avais acheté tes moutons, tu t’en souviens? Tes moutons? Non, je suis pas venu à vélo. Tu te souviens que je fais du vélo…?

Oups…  Ça cogne à porte. Ça doit être tes médicaments… Prends un peu d’eau… Tiens… Ça passe mieux…

Pis, à part de ça…? C’est tranquille…?

Comment? T’as présidé le Conseil des ministres?  Ah ben… C’est le Premier Ministre d’habitude qui fait ça. T’as été nommé Premier Ministre cette semaine?  Wow. Tu peux pas faire ben pire que les autres. Pas piiirrre que les zzautrrres… Ça te fait rire? Es-tu encore Premier Ministre? Ah, ça pas duré longtemps.  Eh ben, coudon…

C’est ça qui est ça…

C’est un peu gris aujourd’hui…

Tu regardes-tu par la fenêtre des fois? Est pas mal loin c’est vrai…

Aimerais-tu ça que je te montre des photos? J’ai pris ça cette semaine à vélo sur le chemin Benoit. On sent l’automne qui se pointe le bout du nez… Pas ton nez… la photo… on dirait que l’automne approche, trouves-tu? Non non, c’est pas à Nicolet, c’est par chez nous, dans le Val-St-François, t’es venu souvent. J’habite l’Estrie, tu t’en souviens? C’est beau, je le sais.  Oui, je fais encore du vélo… Je me préparais pour un grand voyage ce printemps, je t’en parlais. Dans le Nord, c’est ça. T’es bon. C’est remis… Mon voyage, c’est remis… Je roule dans mes rangs à la place… Je pense souvent à toi quand je roule dans la campagne… Je pense à toi sur mon vélo…

As-tu encore soif? Tiens… T’avais soif…

Comment? On vient de la campagne, c’est vrai t’as raison. Toi tu viens de la campagne, moi je viens de la campagne aussi… Tout le monde vient de la campagne d’une certaine façon. Ça te fait rire? T’es ricaneur aujourd’hui…

Je viens de toi aussi… Je viens de toi…

Attends, tu vas mieux m’entendre… Là…

* * *

On a le même sang, p’pa. Je viens de toi, je descends de toi. C’est ce sentiment là qui m’accompagne, cette année, sur mon vélo. Quand je me mêle au paysage, je te vois, t’es avec moi, avec ta sensibilité, celle que tu m’as transmise pour voir la beauté de la nature, du territoire, pis celle du monde… Je suis fier de ça, je suis fier d’être ton fils p’pa…

* * *

Va falloir que j’y aille là. Je vais m’en aller. Tu peux rester assis. Reste assis, c’est pas nécessaire. Je vais aller porter ma chaise. M’man va venir te voir cet après-midi. Ta femme va venir te voir après ton dîner. Je le sais, t’es content. Quoi? Ben moi aussi je t’aime p’pa.  Je vais partir là. Je vais ouvrir la porte, c’est correct? Bon ben porte-toi bien, je pars, je vais revenir la semaine prochaine. M’man va venir te voir après-midi. Ok? C’est correct? Ah oui, t’oublie pas, on va aller prendre une bière ensemble. Bye…  Bye là…

Nicolas Proulx

Racine, le 15 septembre 2020

lapromessedunord.com

 

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