Le Val-Ouest

Chronique L’Avalé du Val – Novembre, dehors

Chronique L’Avalé du Val - Novembre, dehors
J’ai 8 ans, c’est l’été, je chausse mes bottes de rubber (même si ma mère me chiale après pour que je mette mes snicks).  J’ouvre la porte.  Un coussin moelleux de chaleur et de lumière m’enveloppe, ça sent les foins, le parfum mélangé des fleurs, je vois des vaches paisibles, je vois des arbres, une hirondelle passer, je sens sur ma cheville le piquant d’un rayon de soleil qui chauffe le caoutchouc de ma botte. Si j’arrête le temps, si je fige le moment avec mes yeux d’aujourd’hui, je sais que rien ne dépasse en qualité le sentiment de bien-être, de réconfort que cet instant où, à l’âge où l’on traîne en bottes à tuyau, la nature s’offre à mes sens.

J’ai 12 ans, c’est l’hiver, je m’arrache à la chaleur du poêle à bois, un soir de semaine, j’enfile mon chandail de Brad Park par-dessus mon jacket brun, mes gants d’hockey, ma tuque à oreilles et je sors pour aller snaper des pucks sur la porte du garage mal protégée (par un panneau de plywood que mon père trouve beaucoup trop petit).  L’air froid sur le visage et dans le cou, la senteur de la neige, la noirceur du ciel, le champ solitaire et glacial qu’on devine dans la nuit…  J’ai l’âge où la pensée s’aventure dans le flou enivrant de l’abstraction, où les mots s’affichent parfois en belles giclées symboliques, l’âge où j’ai pu dire, ce soir-là : c’est beau dehors et je me sens bien.

J’ai 53 ans et ça continue…  Quand j’enfourche mon vélo et que je me retrouve dans le Val, à la première tige, au premier nuage, au premier mouvement des branches, je ressens l’extérieur, l’air, la nature comme une réponse, comme un point final peut-être.  C’est si fugace que je ne souris pas.  C’est l’esprit qui s’incline une seconde et se relève, sachant que toute révérence est inutile.  Rien ne profite à la nature ni de bien n’est voulu par elle.  C’est la vie qui continue.

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Chronique L’Avalé du Val - Novembre, dehors
Mon père n’était pas assis comme d’habitude avec les autres dans la grande salle.  Je suis allé à sa chambre, la porte était fermée.  J’ai ouvert, il était assis sur sa chaise, sans plus.  Assis, seul, sans rien, dans le silence, maigre comme un chicot.  Il n’avait pas l’air malheureux.  Il semblait content de me voir.  J’ai aperçu sa chaise roulante pliée sous la fenêtre, j’ai pensé qu’on pourrait sortir.  Ça te tentes-tu?  Mon père aimait être dehors.  Il cherchait à sortir.  Avec l’hiver qui s’en vient, j’ai pensé que les occasions ne seraient peut-être plus très nombreuses…  J’ai demandé la permission, c’était correct.  Je lui ai mis une veste, sa calotte, l’ai assis, sanglé, masqué, on est sortis.  Il n’y avait rien de bucolique.  Des stationnements, une rue passante, des édifices.  Mais, il y avait l’air.  Je lui ai enlevé son masque.  Tu sens l’air, tu sens le vent p’pa?  Il a pris ce ton distinctif, une sorte de soupir émerveillé, qui nous signalait son bonheur. Oooh oui!  C’était peut-être un réflexe du passé, plus qu’un sentiment réel de bien-être.  Ou bien, encore, une façon de me rassurer…  On a fait une promenade en arrière de l’hôpital dans un stationnement boueux.  On a trouvé des arbres.   On a baragouiné à propos de leur essence.  On est revenus.  Ç’a été une sortie que je n’oublierai pas.

 

Ma mère ne peut plus aller voir mon père.  Il y a un cas de Covid dans sa résidence.  On ne peut plus la visiter dans son appartement.  On peut la voir à l’extérieur.  Je peux marcher avec elle dans le bois du séminaire, à Nicolet.  En novembre, les pins centenaires sont comme de grands corps gris efflanqués, l’étang est mort, il règne une paix toute religieuse.  Tout ça est magnifique.  Nous le ressentons ma mère et moi, en parlons doucement en marchant.  Ma mère a vécu toute sa vie avec l’amour de la nature.  Comme mon père.  Cela la traverse.  C’est visible, dans son corps.  Elle ferme les yeux et la beauté la traverse.  Ce sont les paysages les plus simples qui l’émeuvent.  Elle m’a montré un champignon informe sur une souche, un arbuste dépouillé, là, entre deux grands troncs.  Nous avons marché, tout lentement, à son rythme, entourés d’arbres.

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Tout vient de l’enfance.  C’est de mon enfance que je parle quand j’écris sur les paysages.   Toujours.  De mes parents, amants eux-mêmes de la nature, réunis par la nature.  J’ai vu mes parents se comprendre, s’émerveiller, vibrer l’un à l’autre dehors, dans les champs, sur la balançoire, lors des promenades, sur les bords des rivières, dans les rangs.  Dans la campagne.

C’est l’amour que je retrouve dans la nature.

Dehors.

Nicolas Proulx
Racine, le 26 novembre 2020
lapromessedunord.com
Lire la chronique précédente : Chronique L’Avalé du Val – Fragments nordiques

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