Le Val-Ouest

À vrai dire

Ce texte est tout d’abord paru dans la plus récente édition du Moulin Express de Lawrenceville.

L’usure du temps, la baisse de la garde et, il faut bien le reconnaître, l’érosion des valeurs anciennes auront eu raison de ta santé. Assaillie de toute part, tu as perdu de ta superbe. Petit à petit, on a pris ses distances, on t’a délaissée jusqu’à ne plus savoir te reconnaître, toi, la vérité1.

Est-ce ton âge qui t’a rendue si fragile, si vulnérable ? Nous nous sommes habitués à ta présence tenue pour acquise. Dès mon plus jeune âge, on en référait à toi, tantôt pour te présenter comme modèle, tantôt pour se plaindre du sort qu’on te réservait. À l’occasion, mais beaucoup plus rarement et toujours avec prudence, pour déplorer le tribut qu’il fallait parfois payer pour faire partie de ton cercle d’amis. Partager les valeurs qui étaient tiennes n’était pas de tout repos, mais formait le caractère. J’aurai été de ceux qui sont allés à ton école.

Tu as toujours eu des détracteurs, mais tu savais les remettre à leur place. La réalité au quotidien plaidait ta cause sans que tu aies trop à t’en soucier. J’emprunte à Dumas père cette phrase qui aurait pu être tienne et qui te convient tellement bien : « Mais où prendrais-je le temps de répondre à mes détracteurs quand je trouve à peine le temps de répondre à mes amis »2. Parce que tes amis étaient légion. Ils traversaient les frontières, aussi bien politiques que religieuses, artistiques que scientifiques, juridiques qu’économiques. On te courtisait de toute part et c’était à qui allait pouvoir revendiquer le privilège d’être reçu dans ta cour. Tes adeptes étaient nombreux.

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Tu es devenue un incontournable de notre langage. Pour dire vrai, À vrai dire, Pour dire la vérité, C’est pas vrai !, C’est bien trop vrai !, C’est donc vrai !, C’est la vérité vraie !, Vraiment, la vérité a la vie dure, La vérité finit toujours par triompher, Fausses vérités, Il nous cache la vérité, Toute vérité n’est pas bonne à dire, À chacun sa vérité, Trop beau pour être vrai, etc.

Assez tôt, j’ai aussi compris que de taire la vérité pouvait me servir. Lorsqu’un petit accident dont je n’étais pas fier m’était arrivé, parfois aussi sous la menace, pour taire le méfait d’un autre, surtout s’il était plus grand et plus fort que moi, ou simplement pour éviter de passer pour un bavasseux. De là à inventer une histoire, il n’y avait parfois qu’un pas. Apprendre à bien mentir demande du temps et de la pratique. Assez vite, j’ai réalisé que j’avais peu de talent en la matière. Peut-être mes parents étaient-ils trop perspicaces. De toute manière, il a suffi que je sois démasqué quelques fois pour que je me tourne du côté de l’honnêteté. C’est dire comment l’orientation d’une vie sur une attitude aussi fondamentale peut se jouer en bas âge. Et quel rôle déterminant joue l’entourage!

Ce long détour pour en venir au cœur de mon propos. Comment dans nos sociétés dites avancées on a pu en arriver à ne plus savoir distinguer le vrai du faux, la réalité de l’invention, le vraisemblable de l’invraisemblable, la chimère de la réalité. Une citation découverte par hasard du poète français René Char m’a frappé. Le silence est l’étui de la vérité. Je la rapporte hors contexte. Ce que je lui fais dire trahit son auteur, réputé poète de la résistance française. Je réagis à l’idée qu’il faille garder la vérité dans un étui à une époque où on ne sait plus très bien où elle se cache. Comment la remettre à l’avant-scène, comment lui redonner la parole et tenir tête à ses détracteurs ?

Difficile de démêler le vrai du faux dans le tsunami de fausses nouvelles, de demi-vérités, d’informations « alternatives » et de publicités trompeuses qui envahissent les médias sociaux jusqu’à noyer les esprits. Georges Leroux, philosophe québécois, déplore que le réflexe critique, à ne pas confondre avec le réflexe critiqueux (!), soit trop peu répandu dans la culture québécoise – mais elle n’est pas la seule – et que l’on n’accorde pas plus d’importance à développer l’esprit critique dans nos programmes d’éducation. Le gros bon sens est indispensable dans la gestion du quotidien, mais il faut parfois s’en méfier et chercher plus loin.

À la lumière de ce qu’on observe dans plus d’une mouvance politique contemporaine, le discrédit de la vérité semble devenu un outil de prédilection. Non pas qu’on n’y ait pas eu recours précédemment. Mais que la désinformation systématique atteint des sommets inégalés. L’humanité a mis des siècles à développer des outils de socialisation. La notion de vérité est l’un de ceux-là et je frémis à l’idée qu’elle disparaisse.

 

Connaissance conforme au réel ; son expression (opposé à erreur, ignorance ou à mensonge).  Petit Robert
2 Dumas père, Monte-Cristo, 1846.

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