Le Val-Ouest

Avant de tomber en vacances

Voir ce qu’on veut bien voir

Je n’ai pas tout perdu de ma capacité d’indignation. Le 5 mars dernier, la Fondation pour la défense des droits et libertés du peuple intentait une poursuite contre le port du masque qui, selon son argumentaire, pourrait même entrainer une mort subite. Rien de moins. Il s’agit d’une récidive de cette fondation qui avait déjà tenté de s’opposer au confinement cherchant à le faire déclarer détention arbitraire. L’étonnant dans tout cela est le fait que ladite fondation ait recueilli près d’un demi-million de dollars en dons du public. Sur leur site web, en entête et gros caractères, cette citation de Victor Hugo : « La liberté commence où l’ignorance finit. » Pourtant, elle continue de prétendre que la pandémie ne constitue pas une menace grave à la santé de la population. Une vieille pratique des cochers consiste à faire porter des œillères aux chevaux pour éviter qu’ils ne soient distraits par ce qui se passe autour d’eux…

Chercher la bête noire

Le 8 juin, Marie-France Bazzo intitulait sa chronique à La Presse : « Pour en finir avec l’infantilisation1 ». Elle en découd avec le gouvernement et sa façon de présenter les mesures pour contrer la Covid 19. Multiplier les interventions infantilisantes du gouvernement « a probablement contribué à la montée en puissance de groupuscules négationnistes, antimasques, antivaccins, complotistes, … » Une approche gouvernementale plus rationnelle, plus « adulte » aurait-elle vraiment pu freiner l’ardeur des opposants ? Plus de débats ? Davantage d’informations techniques et scientifiques ? On peut sérieusement en douter. Et d’ajouter, « Politiquement, le discours paternaliste qui occupait tout l’espace public a réduit l’opposition à un statut de figurant et a conduit à un déficit démocratique, … » Choisir de taire les oppositions partisanes en temps de crise est-ce antidémocratique ? La stratégie gouvernementale a connu des ratés tout au long de cette pandémique traversée. Faut-il pour autant qualifier de déficit démocratique le fait pour les partis de l’opposition de faire front commun avec le parti au pouvoir tout en formulant réserves et critiques ? Dans l’urgence, il fallait privilégier l’action. Infantilisation, vraiment ?

Se comparer pour se consoler

Dans une chronique intitulée « La fête nationale des pas pires2 », Jean-François Lisée prend la situation de moins haut et s’amuse à relever des statistiques plus rassurantes sur la conscience sociale des Québécois et sur la gestion de la pandémie. Avec un certain humour, il souligne que s’il se dégage de relevés statistiques récents le fait qu’un certain pourcentage de Québécois sont racistes, ce pourcentage est plus élevé dans le reste du Canada. Ah bon. Nous nous classons également mieux dans notre rapport au fait autochtone … et tenons l’Église, davantage que le gouvernement fédéral, responsable de l’atrocité des pensionnats. Si le peuple québécois se laisse infantiliser et s’il laisse les négationnistes et complotistes envahir l’espace public, il ne semble pas pour autant avaler toutes les couleuvres. J’aime mieux voir dans ces traits sociaux une forme de tolérance de gens qui n’en pensent pas moins. Jean-François Lisée termine son texte en rappelant que si la gestion de la pandémie a connu de sérieux ratés au départ, la situation s’est drôlement redressée depuis. Et à tout prendre, entre l’infantilisation d’un paternalisme de bon aloi, une dictature à la chinoise ou le négationnisme à l’américaine ou à la brésilienne, le Québec n’est peut-être pas si mal chaussé.

Regards d’un sage

En ces temps perturbés, il est bon de se frotter à la pensée de vieux sages. Le sociologue Guy Rocher a accordé sur RDI une passionnante entrevue à Anne-Marie Dussault le 24 juin dernier3. « Ce penseur en action, fort de 97 années d’existence, contemple sa société et “son” siècle » résume Anne Marie Lecomte.

Ce qui frappe d’abord dans cette entrevue c’est le calme et la sérénité de Guy Rocher, comme s’il n’avait plus rien à prouver ni à démontrer. On ne sent dans ses propos ni urgence, ni amertume devant le devenir d’une société, la sienne, la nôtre, dont il voit pourtant bien les dérives mais aussi les réalisations, le chemin parcouru. La société québécoise du début de sa carrière partait de loin et il a été des grands chantiers qui ont présidé à sa transformation. Pensons à la création du Ministère de l’éducation, à celle des CEGEP, à la Charte de la langue française et à la loi 101. Révolution tranquille dit-on, mais peut-être pas si tranquille que ça reconnaitra-t-il. « C’est difficile de trouver ailleurs dans le monde un pays où la population a accepté tant de changements en si peu de temps. Des changements de mentalité, de structures et d’organisation sociale et d’idéologies profondes ».

Sur ce, je nous souhaite un été sans trop de canicules … et sans confinement.

1La Presse+ 2021-06-08
2Le Devoir 2021-06-26
3https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1803806/guy-rocher-entrevue-dussault-laicite-langue-francaise-education

Lire la chronique précédente :

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