Le Val-Ouest

L’hydre de la publicité

Ce texte est tout d’abord paru dans la plus récente édition du Moulin Express de Lawrenceville.

Dans un article intitulé UNE INITIATIVE QUI PORTE SES FRUITS (1), Pierre-Elliot Levasseur, président du journal La Presse, se félicitait du succès d’une approche publicitaire nouvellement adoptée :  « Afin de poursuivre notre mission, nous avons entre autres introduit un nouveau concept de vidéo publicitaire dès l’ouverture de l’édition de La Presse+. »

À chaque ouverture du journal sur ma tablette apparait donc depuis ce temps le message suivant : « En visionnant cette vidéo, vous aidez La Presse à générer des revenus publicitaires qui lui permettent de soutenir sa mission de produire un journalisme de qualité. » Impossible de contourner ces vidéos publicitaires.

Doublée d’une contrainte d’authentification avec mot de passe, il s’agirait là, dans l’esprit du président, de pratiques susceptibles de rapatrier une partie des revenus publicitaires largement accaparés par les géants américains.  Ultimement, un tel rapatriement devrait permettre de créer « une offre concurrentielle attrayante dans le marché québécois ». Noble objectif, mais ce faisant, le journal ne vient-il pas d’accentuer son statut de victime prisonnière de ce tentacule de l’économie libérale qu’est la publicité ?

Plus viscéralement, je réagis à l’empiètement toujours croissant de la publicité. J’aime bien choisir ce que je lirai, ce que j’écouterai, ce que je visionnerai. Et j’aime bien le faire sans être à tout moment distrait par l’apparition soudaine d’une annonce entre deux paragraphes. Je vis cela comme une intrusion dans mon espace vital, dans ma bulle cognitive.

L’insidieux envahissement publicitaire

Étant déjà réfractaire à l’envahissement tous azimuts de la publicité, cette histoire m’a amené à essayer de mieux comprendre les raisons de mon irritabilité devant son omniprésence. L’hydre (2) a trop de têtes ! Certaines publicités servent de bonnes causes, d’autres moins, certaines sont honnêtes, d’autres délibérément trompeuses, certaines visent un enrichissement collectif, d’autres celui de quelques assoiffés de luxe et de pouvoir, certaines favorisent la libre circulation des savoirs, d’autres son contrôle. Le tout sans compter les innombrables domaines où on les retrouve : le commerce, les finances, la politique, l’éducation, la culture, la religion, le sport, les loisirs, la santé, etc.

Avec la prolifération des outils technologiques, toutes ces publicités se retrouvent partout, à la télé, sur les ordis, les tablettes, les téléphones et, ne serait-ce que par leur multiplicité, elles sont, d’une certaine manière, porteuses d’un message subliminal voulant que la vie, la vraie, la belle, se trouve quelque part ailleurs, dans les mirages de la consommation. J’entends encore cette amie me dire à la blague qu’elle irait magasiner pour voir si elle n’y trouverait pas un besoin qu’elle ignore ! Les annonces publicitaires se chargent généreusement de nous faire miroiter de tels besoins jusque-là ignorés.

Neutre et objective la publicité ?

Je supporte bien les publicités informatives, à portée sociale ou culturelles. Par contre, je supporte mal les publicités axées sur la consommation. Qui croit encore qu’un commerce de meubles et d’électroménagers paie les deux taxes ? Est-ce qu’une crème, une pilule ou un substitut alimentaire peut vraiment régler les problèmes d’arthrose ou retarder le vieillissement ? Ces publicités misent sur le fait qu’une information entendue à répétition finit par être considérée vraie, qu’elle le soit ou non, parce que noyées dans la masse des informations véridiques. Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose !

Il n’y a par ailleurs rien de rassurant dans le fait qu’on ait de plus en plus recours aux données de la science pour mieux séduire et mieux convaincre le consommateur quand ce n’est pas pour mieux le tenter ou pire, mieux le tromper. Dans le jargon spécialisé, on parlera de neuromarketing pour proposer des stratégies publicitaires mettant à profit les plus récentes découvertes en neuroscience. C’est ainsi qu’on s’intéressera à la façon dont le cerveau capte et traite les informations, à la dynamique de la motivation, aux processus décisionnels, etc.

Alain Stanké s’est fait plaisir dans une lettre d’opinion intitulée Le ridicule sur quatre roues (3). « Sur quelle planète vivent les concepteurs de publicité automobile ? Quand je vois défiler au petit écran les publicités d’automobiles, j’ai parfois l’impression qu’elles ont été conçues par des créatifs en état d’ébriété. »

Les fondements de ma formation ont été la science, la rigueur et l’humanité. Depuis, ils sont demeurés les guides de ma quête de connaissances et les garde-fous de mes efforts de compréhension et d’adaptation à la vie. Pour cette raison, si comme le veut McLuhan, le médium est le message, l’évolution du médium publicitaire soulève chez moi plein d’interrogations si ce n’est d’inquiétudes. Et pour demeurer dans le cadre de la mythologie grecque, il m’arrive de penser que nous aurions besoin d’un Hercule pour nettoyer les contemporaines écuries de la publicité.

1) La Presse+ Samedi le 18 juillet 2020
2) Animal tiré de la mythologie grecque, sorte de monstre à plusieurs têtes.
3) La Presse+ Mardi le 14 juillet 2020

Lire la chronique précédente :

Un avis au sujet de « L’hydre de la publicité »

  1. Bravo Michel ! Ca fait bien de lire ca. Et stanke decrit bien l’impression qui se degage des publicites de voiture. Si seulement des politiques acceptaient d’attaquer de front cette peste moderne.

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