Le Val-Ouest

Du labyrinthe stellaire au labyrinthe des égarés

 

L’éclipse solaire est déjà loin derrière, mais le phénomène m’habite encore. J’y aurai consacré plusieurs heures. D’abord en préparatifs. Chercher l’information sur les précautions à prendre, trouver les bonnes lunettes de protection1, transformer une boîte de carton en écran de visionnement, choisir le meilleur endroit pour observer le phénomène, y installer des chaises inclinables pour le confort, préparer deux apéros pour combattre le froid du soleil éclipsé, ajouter des grignotines pour alimenter la fournaise intérieure et tenir sans défaillir les deux heures et vingt-deux minutes qu’allait durer la totalité de l’événement.

Mais quel évènement ! Au départ, ma douce n’était guère excitée à l’idée de passer plus de deux heures à observer l’ombre de la lune cacher graduellement le soleil et obscurcir progressivement le ciel et notre environnement. Je crois bien que n’eut été des poules, des oies et des canards, je fais ici volontairement abstraction des bretzels et gin-tonic, son enthousiasme aurait mis plus de temps à se manifester. Mais la combinaison de tous ces ingrédients a vite eu raison de sa retenue. Et je dois avouer en ce qui me concerne que la magie de l’événement a opéré au-delà de mes attentes. Une forme de profonde émotion s’est emparée de nous, comme s’il nous était donné l’espace d’un instant d’entrevoir par le trou de la serrure une facette du mystère de l’existence. Là, sous nos yeux, en plein après-midi, apparaissait le copinage du soleil avec ses planètes Vénus et Jupiter. À croire que le fait de les apercevoir en plein jour par la magie de l’ombre de la lune ajoutait à leur réalité, à leur état d’être.

Il m’arrive très rarement de réfléchir sur l’invraisemblance de l’improbable réalité de la mécanique céleste d’où émane notre état « d’êtres vivants ». Nous menons tranquillement notre petit bonhomme de chemin sans trop prêter attention à ce déploiement de forces qui nous entoure et dont dépend notre vie. Ce sentiment que nous avons de fouler la surface d’une masse immobile autour de laquelle tournoieraient un soleil, une lune et des étoiles est tellement loin de la réalité. Accompagnés de la lune qui tourne autour de nous, nous tournons sur nous-mêmes tout en tournant autour du soleil qui à son tour tourne sur lui-même tout en tournant autour du centre de notre galaxie, la Voie lactée, laquelle se déplace à quelque deux millions de km/h sans qu’il ne soit possible de savoir si, comme pour toutes ses composantes, elle tourne en rond ou se dirige vers on ne sait où. À pareille vitesse, il vaut mieux éviter les collisions ! Il y a de quoi avoir le tournis…

Toutes ces réflexions, vous le pensez bien, me sont venues par la suite. Sur le coup, nous n’avions de cesse de nous émerveiller. La boîte de carton munie de son écran a vite été mise de côté. Le ciel en avait trop à dire pour pouvoir s’y loger. Sans compter l’étrange atmosphère qui s’installait tout autour de nous. Suivant le rythme de l’obscurcissement du ciel, la basse-cour s’est faite de plus en plus silencieuse, de moins en moins agitée. Comme elles le font tous les soirs à la brunante, les poules ont été les premières à retourner au bâtiment, suivies par les oies et les petits canards. Seuls les coureurs indiens, ces étranges canards en tenue de soirée, ont conservé leur flegme devant ce simulacre de coucher de soleil. Peut-être ont-ils ralenti le rythme de leurs va-et-vient, mais ils n’ont pas été dupes de cette fausse brunante et sont demeurés à l’extérieur. Pendant tout ce temps, nous étions envahis par une étrange émotion bizarrement entretenue par ce semblant de coucher de soleil jaunâtre s’étirant sur 360o. Puis petit à petit quelques rayons de soleil ont émergé de l’ombre et ont lentement redonné au jour sa luminosité.

À propos… Il y a quelques semaines, mon ami Renald m’a prêté Le Labyrinthe des égarés2. À mi-chemin entre le survol historique et la réflexion philosophique, l’auteur remonte deux siècles dans le temps et passe en revue les étapes qui ont marqué l’émergence de la suprématie de l’Occident, largement portée par l’essor des États-Unis. Les tribulations comme les réussites du Japon servent de trame de fond pour illustrer les travers propres à l’humain qui ne manquent jamais de faire dévier de leur objectif initial les meilleures intentions. S’ajoutent à l’exemple du Japon ceux de la Russie, de la Chine, des pays européens et des États-Unis. La domination mondiale américaine s’affaiblit petit à petit tout comme se dilue la traduction politique concrète qu’ils s’étaient donné de la démocratie. Les égarés, c’est un peu nous tous, à commencer par nos dirigeants. L’humanité se cherche, dirigée par des meneurs qui donnent trop souvent l’impression d’être de grands égarés. À lire !

1Nathalie, ma grande, m’a beaucoup facilité la tâche en me refilant deux paires de lunettes de sa réserve !

2Maalouf Amin, Le Labyrinthe des égarés, Grasset, Paris 2023

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