Le Val-Ouest

Empoisonnés par le stockage de boues municipales

Un couple du Canton de Cleveland se dit victime de dommages corporels, moraux et matériels causés par un stockage de boues municipales dans un champ agricole voisin. Ceux-ci ont décidé de poursuivre les fautifs en cour pour un peu plus de 400 000 $.

Une première au Québec

Ce serait la première fois, au Québec, qu’on entreprend une action judiciaire en lien avec l’utilisation des matières résiduelles fertilisantes (MRF).

La poursuite met principalement en cause l’agronome Mamadou Ari Tchougoune, président de l’entreprise Integral Environnement inc., ainsi que Vincent Boulay, administrateur de cette même entreprise ainsi que président de JMV Environnement inc.

Pascal Goux et Irène Senécal poursuivent les deux individus personnellement ainsi que leurs entreprises. La Société d’assurance Beneva (nouveau regroupement des assureurs SSQ et de La Capitale) fait aussi partie de la requête.

Boues en provenance de Repentigny et Longueuil

Les événements se sont déroulés en mai et juin 2020. Des camions sont venus livrer des boues d’épuration en provenance des villes de Repentigny et de Longueuil dans le champ agricole voisin de leur résidence, dans le Canton de Cleveland.

Animaux et humains malades

Dans les jours qui suivent les livraisons de MRF, leurs jeunes poules sont désorientées et présentent des problèmes respiratoires et gastriques. Les œufs sont difformes. Quelques mois plus tard, le couple doit se résoudre à les faire euthanasier. Ils envoient les poules décédées au Centre de diagnostic vétérinaire de l’Université de Montréal. Les résultats de laboratoire démontrent entre autres des adénocarcinomes (cancers).

À la suite du stockage des MRF à côté de leur propriété, le couple de Cleveland a récolté des œufs difformes. (crédit photo : Pascal Goux)

Leur chien, quant à lui, démontre des signes de détérioration : troubles moteurs, perte de poils, éruptions cutanées, yeux infectés, démangeaisons, problèmes des systèmes digestif et immunitaire, etc. Il doit se faire soigner par un vétérinaire.

Plaie du chien du couple (crédit photo : Pascal Goux)

Autour de leur maison, les Clevelandais retrouvent des oiseaux morts.

S’ensuit pour eux des problèmes de santé : maux de tête soutenus, fatigue constante, troubles de concentration, insomnie, stress, problèmes aux reins, douleurs abdominales, infection pulmonaire, problèmes gastro-intestinaux, etc.

Autour de leur maison, Pascal Goux et Irène Senécal retrouvent des oiseaux morts comme celui-ci. (crédit photo : Pascal Goux)

« Ça a commencé tranquillement. On ne se doutait de rien. Au début, on ne savait même pas ce qui se passait », explique Pascal Goux. Fin juin, il doit se présenter à l’urgence. Réalisant que leurs problématiques de santé sont survenues après la livraison des MRF chez leur voisin, Pascal Goux porte plainte au ministère de l’Environnement.

Empoisonnement par l’eau et l’air

Selon toute vraisemblance, l’empoisonnement proviendrait de l’air et de l’eau. Les amas de boues ont été stockés à 120 mètres du puits du couple. Bien que cette distance respecte la norme minimale, fixée à 100 mètres, des analyses des eaux souterraines démontrent qu’elles ont été contaminées, entre autres, par des bactéries, dont Escherichia coli (E. coli) et des entérocoques.

L’amas était à environ 120 mètres de leur maison et à environ 200 mètres des bâtiments d’élevage des animaux. Selon la poursuite, même si la distance respectait l’exigence de 100 mètres, elle semblait insuffisante pour assurer une protection adéquate. L’agronome aurait dû, par exemple tenir compte de la direction des vents, de la présence d’un ruisseau, d’un étang et du fait que le terrain est en pente.

Les documents déposés en cour mentionnent de même que selon l’Institut national de santé publique du Québec, « une distance de moins de 165 m entre la source de pathogènes (boues) et la population peut augmenter les risques associés à l’inhalation d’aérosols à un niveau supérieur au seuil de risque infectieux. »

Vue aérienne du site. On voit, pointé en vert, le lieu d’entreposage des boues. (crédit photo : Pascal Goux)

« Très forte teneur en agents pathogènes »

Le couple allègue dans sa poursuite que les individus et entreprises « (…) ont permis que des matières d’égout à très forte teneur en agents pathogènes et en éléments à risque soient entreposées de façon non conforme, sans avertissement, et sans permis sur un lieu non autorisé à proximité de l’habitat des demandeurs (…). »

En mai et juin 2020, des camions sont venus livrer des boues d’épuration en provenance des villes de Repentigny et de Longueuil dans un champ du Canton de Cleveland, en Estrie. (crédit photo : Pascal Goux)

Radiation temporaire de l’agronome

L’agronome mis en cause dans ce dossier, Mamadou Ari Tchougoune, a été radié de l’Ordre des agronomes pour deux mois, en 2022. Il écope aussi d’une amende de 4 000 $. Les faits reprochés étaient en lien avec ce stockage de MRF à Cleveland.

Le conseil de discipline de l’Ordre explique, dans sa décision, que l’ « avis de projet MRF », soumis par l’agronome, « comporte des omissions importantes sur le plan environnemental ». De même, on peut lire que « les informations sont déficientes quant aux zones de stockage et d’épandage et quant à l’illustration des distances séparatrices devant être respectées ». L’affiche posée sur les lieux n’indiquait pas non plus qu’il s’agissait d’épandage de biosolides municipaux. Il a aussi omis d’informer auparavant la municipalité. Ce qui est pourtant obligatoire.

L’agronome s’est aussi vu reprocher une situation de conflits d’intérêts « (…) en acceptant que la compagnie Integral Environnement inc., dont il est l’un des actionnaires et au sein de laquelle il exerce sa profession d’agronome, soit rémunérée par JMV Environnement inc. sur la base de la quantité de MRF recyclée. Soit au taux de 18 dollars par tonne de matières humides. Le tout, contrairement à l’article 28 du Code de déontologie des agronomes du Québec et à l’article 59.2 du Code des professions », peut-on lire dans le document de l’Ordre.

Se représenter seul en cour

Pascal Goux a décidé de se représenter seul en cour, face à trois cabinets d’avocats. Il se dit toutefois ouvert si un avocat, spécialisé en droit de l’environnement, souhaitait l’épauler dans sa cause.

M. Goux espère que des scientifiques et d’autres victimes oseront eux aussi prendre la parole. « Ils ne se sentiront plus seuls et décideront de faire quelque chose pour ne plus que ça arrive.»

 

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