Le Val-Ouest

Est-ce que votre véhicule est assez gros?

Crédit photo : Carsized

C’est une drôle de question, mais c’est important de s’y pencher. Au Québec, nous avons l’avantage de voir les tendances du futur en jetant un coup d’œil sur nos voisins du sud, les États-Unis. La tendance là-bas est très claire : Selon JD Power, les véhicules VUS représentent 80% des achats de nouveau véhicule depuis 2021. Ceci est un peu troublant, simplement parce que les VUS ne jouent pas avec les mêmes règles que le reste des véhicules avec qui ils partagent la route.

Ces véhicules passent sous la catégorie de « camions légers », ce qui ne les assujettit pas aux mêmes standards d’économie d’essence et de sécurité étant donné leur vocation plus utilitaire. Bien sûr, les manufacturiers de véhicule poussent et abusent de cette clause autant que la loi leur permet pour grossir encore et encore la grosseur et le prix de ces véhicules. Effectivement, ces véhicules sont très demandants en matériaux et offrent au manufacturier une meilleure marge de profit que sur les véhicules plus standards.

Il va donc de soi que ses manufacturiers investissent beaucoup d’argent dans la mise en marché et la promotion de ce type de véhicule. Le but ultime de ces démarches publicitaire est simple : de vous faire croire que vous avez besoin d’un aussi gros véhicule. D’un certain angle, ils n’ont pas tout à fait tort et nous allons voir pourquoi plus bas. Ils vendent cette idée de sécurité dans ce gros véhicule et du mode de vie que quelqu’un avec ce genre de véhicule pourrait avoir : l’honnête travailleur qui s’acharne à son travail, transporte de lourdes charges, va camper toutes les semaines et va à la chasse.

Ce qui peut nous pousser à nous poser la question : Est-ce que nos modes de vie au cours des 50 dernières années ont changé au point d’expliquer cette augmentation en besoin de véhicules comme les SUVs et les camionnettes? Est-ce que la moyenne des gens travaille vraiment plus à l’extérieur, dans les champs, etc.?

Si vous avez tendance à penser le contraire, vous auriez tout à fait raison. Selon l’American Heart Association, les emplois sédentaires ont augmenté de 83% depuis 1950, et les emplois considérés comme « Actifs » ne forment que 20% de la main-d’œuvre ouvrière. Donc, une augmentation de 80% en vente de gros véhicule, alors que les emplois qui en ont typiquement besoin ont diminué de 83%. En réalité, la majorité de ces gros véhicules ne servent vraiment qu’à déplacer l’épicerie et notre personne. « Bon, la plupart des gens n’ont pas besoin d’un engin de guerre de 2 tonnes pour aller travailler au bureau… et après? C’est dans leur droit d’utiliser le véhicule qu’ils veulent, non? » Oui, bien sûr. Cependant, il y a plusieurs nuances à ce phénomène et il est important de comprendre l’impact systémique que ses véhicules ont sur nous et nos villes. Pour rendre le tout plus clair, allons par catégorie.

La sécurité

Paradoxalement, l’une des raisons les plus communes pour ce choix de véhicule est le sentiment de sécurité qu’il apporte à son conducteur. Plusieurs aspects peuvent mener à avoir ce sentiment. Par exemple, la hauteur de l’habitacle permet de voir plus loin et la grosseur du véhicule donne l’impression d’être plus en sécurité en cas d’accident. Malheureusement, ces véhicules ont apporté une panoplie de nouveaux problèmes et de victimes. Il est vrai que la hauteur du véhicule permet de voir légèrement plus loin, mais le devant du véhicule bloque complètement la vue des objets, ou des personnes, près du véhicule. Tragiquement, les personnes proches du véhicule sont souvent des enfants, frappés dans leur propre cours par leur parent pour qui il était impossible de voir l’enfant. Selon, l’organisme Kids and Cars, aux États-Unis, 60 enfants par semaine sont frappés par un véhicule avançant lentement dans un stationnement ou dans une cour. Pour vous donner une idée de l’ampleur du problème, 8 enfants peuvent s’assoir l’un derrière l’autre devant les nouveaux modèles avant que l’on puisse voir la tête du 9e. Pourquoi le parechoc est-il si haut? Encore une fois, parce que la classe de camions légers n’est pas assujettie aux mêmes régulations que le reste des véhicules. Ce qui nous ramène au deuxième aspect du sentiment de sécurité, la grosseur face aux autres véhicules.

Comme ces véhicules sont construits pour tirer de lourdes charges, leur châssis doit nécessairement être plus rigide et plus lourd qu’une voiture. Lors d’un accident, les voitures standards ont été conçues pour plier et se froisser à l’impact, ce qui absorbe une partie importante de l’impact, protégeant les conducteurs des deux véhicules. Le châssis des SUVs et des camionnettes, quant à eux, résiste beaucoup plus à l’impact, et l’énergie qu’ils n’absorbent pas se retrouve redistribuée dans les passagers des deux véhicules.

Bref, ces véhicules peuvent avoir quelques légers bénéfices pour protéger le conducteur, mais ces bénéfices viennent avec le coût énorme de mettre la sécurité des autres à risque. Par exemple, les piétons frappés par un véhicule de ce genre ont beaucoup moins de chance de survivre, car l’impact ne se produit pas sur les jambes, mais plutôt au centre du corps, où tous les organes vitaux se trouvent. Au lieu de tomber sur le capot, le piéton se trouve projeté par l’impact, ce qui augmente les chances de se cogner la tête au sol ou même de passer sous le véhicule à cause du dégagement élevé de ces véhicules. Le pire dans tout ça est probablement que les tests d’impact entre véhicules ne sont pas faits entre classes de véhicules, voulant dire que les VUS sont testés pour les impacts contre d’autres VUS, et non contre des voitures.

Pourtant, les VUS n’ont pas leur propres route appart des voitures conventionnelles. Ceci apporte un problème majeur concernant ce qu’on appelle l’incompatibilité en cas d’accident. Quand deux voitures similaires ont un accident, ils sont considérés comme « compatible », dans le sens que leurs fonctionnalités en sécurité s’alignent pour réduire les dommages subis aux passagers des deux véhicules. Cependant, les accidents entre les SUVs/camionnettes et les voitures sont incompatibles, ce qui désavantages énormément les passagers de la voiture. C’est pour cette raison que plus tôt dans le texte, j’admettais que le manufacturier n’avait pas complètement tort en disant que nous avions besoin d’un VUS.

Effectivement, lorsque 80% des véhicules sur la route seront des camionnettes ou des SUVs, les conducteurs de voitures seront les perdants de cette course aux armements. Les piétons et les cyclistes sont particulièrement à risque dans les rues, car la hauteur de ses véhicules les cache et les rend moins visibles au reste du trafic. Tout ceci est considérant que les conducteurs de SUVs et de voitures conduisent de la même manière, mais ce n’est souvent pas le cas. Une recherche menée par le « Journal of consumer policy » teste une hypothèse qu’ils ont nommée « L’hypothèse du véhicule coussin », qui démontre que les conducteurs de gros véhicule prennent, en moyenne, plus de risques que ceux dans de véhicules plus standards.

L’environnement

Cet aspect est très simple à comprendre. Les villes devraient être conçues comme endroit où les humains peuvent vivre. Tout ce que les VUS représentent va à l’encontre de cette simple idée. Avec des véhicules plus longs et plus larges, l’espace que les voitures occupent à comparer les humains est de plus en plus disproportionné. Les stationnements devront être, et sont déjà, de plus en plus gros pour accommoder ces tanks. Nos villes au Québec sont déjà conçues avec la voiture en tête, au détriment du citoyen et ce problème sera qu’aggravé avec de plus gros véhicules. Certaines villes sont pratiquement hostiles à quiconque n’a pas de véhicule motorisé.

Ces rues à plusieurs voies sans trottoirs entourées de magasins qui sont eux même entourées de stationnements interminables sont simplement non utilisables pour quelqu’un sans voiture et le problème ne sera qu’exacerbé par de plus gros véhicules. Ces endroits étaient déjà hostiles aux piétons avec de petites voitures sécuritaires et manœuvrables. De plus longs véhicules veulent aussi dire qu’une plus petite quantité d’humains prend plus d’espace sur la route. Une moins grande densité de véhicule aux lumières de trafic veut aussi dire que moins de gens ont le temps de passer sur une lumière verte, ce qui cause plus de trafic, plus d’attente et plus d’interactions dangereuses entre des conducteurs qui se dépêchent à passer sur une lumière jaune. Nous avons mentionné l’aspect de droit et de liberté de choisir son véhicule plus tôt, mais il est aussi important que les autres personnes sur la route aient le droit à la sécurité, le droit de conduire un véhicule économique sans se mettre en danger, ou même le droit de ne pas dépendre d’une voiture. Malheureusement, ne nous sommes pas là encore et ne nous dirigeons certainement pas dans cette direction.

Bien sûr, il faut aussi voir l’environnement à plus grande échelle et comprendre une règle bien simple de physique : plus un objet est lourd, plus il requiert d’énergie à déplacer. Selon l’International Energy Agency, si les VUS étaient un pays, ce pays serait le 6e plus gros producteur de dioxyde de carbone au monde. Même avec les nouvelles avancées technologiques en matériaux qui rendent les VUS et camionnette plus économe en carburant, un véhicule plus lourd sera toujours plus polluant qu’un léger, et cette même avancée technologique s’applique aussi aux petites voitures. Cette relation entre le poids et l’énergie nécessaire pour le déplacer est encore plus défavorable avec le développement de camionnettes et VUS électriques, car les batteries sont très lourdes, donc demandent plus d’énergie à déplacer, donc de batterie encore plus lourde sont nécessaires. Pour vous donner une idée, la batterie du plus récent Hummer électrique à elle seule pèse 2,818 livres, ce qui est environ le poids d’une Toyota Corolla.

L’individu

Bien sûr, certaines personnes ont vraiment besoin de ce type de véhicule. Par exemple, quelqu’un travaillant sur une ferme et qui doit déplacer des choses lourdes et salissantes. Par compte, beaucoup de gens semblent se convaincre eux-mêmes de la pertinence de ce genre de véhicule. Le point qui revient souvent est l’espace qu’ils offrent et la quantité de choses qu’ils permettent de déplacer. Pourtant, les entreprises qui ont vraiment besoin de déplacer beaucoup de choses n’ont pas vraiment de VUS ou de camionnette pour le faire. Pensez juste à vos colis Amazon… arrivent-ils dans un pickup? Bien sûr que non, ils arrivent dans une petite fourgonnette efficace en espace et consommation d’essence et sécuritaire pour les autres usagers de la route. Si même une entreprise qui se dédie entièrement aux déplacements de colis moyens s’en sert, il est dur de se convaincre que nos 2-3 voyages à l’épicerie ont vraiment besoin d’un VUS. Une bonne preuve que ces véhicules ne sont pas achetés pour leur capacité de transport peut être vue directement dans la direction que le design a prise au cours des années. Selon Axios, dans leur publication « Pickup Trucks – From Workhorse to Joyride », le premier modèle de Ford F-150 en 1961 avait un ratio cabine/boite de 36%/64%. Au fil des années, la boite à commencer à prendre de moins en moins de place et avoir moins d’importance alors que l’habitacle a grossi. Maintenant, le F-150 à un ratio de 63%/35% entre l’habitacle et la boite arrière. Le véhicule est donc de moins en moins « utilitaire » et défend de moins en moins bien son format de yachts des autoroutes.

Donc si on n’achète pas ces véhicules pour leur utilité, pour leur sécurité, leur prix… pourquoi on les achète? Vous l’avez probablement deviné, mais en grosse partie ces véhicules sont achetés pour le statut social. Ces véhicules sont achetés en masse, car la perception de nos besoins a été graduellement modelée au fil des années par les manufacturiers. Ils vendent l’idée d’un mode de vie vertueux que nous ne vivons pas et enflent notre égo avec ces démonstrations grossières de richesses, de ressources et de capacité. Une publication sur « The Drive » sur le sujet le dit très bien : « Vous ne voulez pas un pickup, vous voulez un costume de Cowboy. » Ces besoins viennent d’une société qui a été élevée en pensant que plus gros c’est mieux. Une société insatisfaite de nos modes de vies modernes et qui est prête à se faire vendre un remède miracle de deux tonnes pour une chance de se sentir plus épanouie. Un endroit où on veut se démarquer des autres avec un véhicule plus puissant que les autres. Où un gros véhicule est viril et une petite voiture est féminine. (On n’entrera même pas dans le sujet de pourquoi les choses féminines sont perçues comme moins désirables, le texte est déjà assez long comme ça.) Ou alors, on achète ces véhicules simplement parce qu’on est coincé dans une course aux armements pour survivre aux accidents de la route.

Qu’est-ce qu’on peut y faire? Il y a plusieurs solutions, comme des pétitions à vos élus sur les règlements concernant les camions légers, leurs angles morts, leur mauvaise consommation d’essence, leur incompatibilité en cas d’accident, etc., mais la première chose à faire serait vraiment de vous remettre vous-même et vos proches en question sur ce problème. Demandez-vous si vous avez réellement besoin de ce type de véhicule, ou si la pression est plutôt sociétale ou externe à vous-même. Pourquoi voyez-vous l’image du mode de vie vendue par ces manufacturiers préférable au vôtre? Auriez-vous d’autre façon de changer ses aspects non satisfaisants de votre vie qui ne passe pas par l’illusion dispendieuse que ces véhicules apportent? Quels sont réellement vos besoins côté transportation? Est-ce que ce besoin en sentiment de validation qui vient avec un gros véhicule ne vaudrait pas la peine d’être analysé?

Bref, est-ce que votre véhicule est assez gros? Probablement.

Merci pour votre lecture! Ce texte diffère un peu de notre contenu habituel, mais l’environnement englobe beaucoup plus que l’agriculture et on trouve que c’est important de parler de ce genre de sujets. Une bonne partie des détails dans ce texte vient d’un vidéo YouTube sur la chaîne « Not just bikes ». Voici une liste de liens pertinents aux sources citées dans ce texte :

 

You Don’t Need A Full-Size Pickup Truck, You Need a Cowboy Costume
http://bit.ly/Thedrive

Carsized.com
https://carsized.com

Global VUS sales set another record in 2021, setting back efforts to reduce emissions
https://bit.ly/47AB3kk

Kids and Cars
https://www.kidsandcars.org/

VUS second biggest cause of emissions rise, figures reveal
https://bit.ly/4aZyOtR

The Car Cushion Hypothesis: Bigger Cars Lead to More Risk Taking—Evidence from Behavioural Data https://bit.ly/4aSzwsR

Trucks And VUS Are Now Over 80 Percent Of New Car Sales In The U.S.
https://bit.ly/4aXe463

These Stupid Trucks are Literally Killing Us
https://youtu.be/jN7mSXMruEo?si=phCYw4Ct5pZI6mza

Pickup Trucks – From Workhorse to Joyride
https://www.axios.com/ford-pickup-trucks-history

Lire la chronique précédente :

 

Un avis au sujet de « Est-ce que votre véhicule est assez gros? »

  1. Bravo pour cette réflexion bien documentée, de vision large. En espérant que plein de québécois consommateurs en prennent connaissance

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