Le Val-Ouest

La face cachée des feux de forêt

Alors que l’indice des feux est au plus haut et que des incendies font rages aux quatre coins du pays, il est peut-être ironique de rappeler que derrière leur façade désolante, les forêts brûlées grouillent de vie…

Christian Hébert est entomologiste. Ce chercheur scientifique à Ressources naturelles Canada a fait des insectes sa spécialité. Et ces petites bestioles en disent long sur l’état de la forêt boréale, notamment après le passage d’un feu de forêt.

Tordeuse des bourgeons de l’épinette, livrée des forêts, arpenteuse de la pruche, longicornes, fourmis n’ont plus de secrets, ou presque, pour le chercheur. « J’ai travaillé beaucoup depuis bientôt 25 ans sur les perturbations naturelles et toujours dans une optique de foresterie durable », résume le chercheur.

 Le Parc national des Grands-Jardins est l’un de ses terrains de recherche

Parmi ses terrains de recherche se trouve le parc national des Grands-Jardins, dans Charlevoix, ravagé par des feux de forêt en 1922, 1991 et 1999. « Dès 2000, nous avons étudié le feu de 1999 qui a ravagé 5 000 hectares. Ce feu, très violent, a laissé des traces encore visibles aujourd’hui. » Des données ont été saisies tous les ans pendant 5 ans, puis aux 5 ans par la suite.

Un territoire de recherche comme celui-là est particulièrement attrayant puisque complètement soustrait à l’activité forestière.

« Dès 2000, nous avons échantillonné dans divers peuplements brûlés, certains âgés d’une vingtaine d’années qui avaient déjà été coupés peu de temps avant la création du parc, d’autres d’environ 50 ans. Une troisième catégorie était composée de peuplements de 80 à 90 ans. Ceux-là dataient d’un feu précédent, en 1922. Des sites témoins non brûlés également ont été étudiés pour fin de comparaison », résume-t-il.

Installation d’un piège à impact dans le parc des Grands-Jardins en 2019.

Ce qui a été constaté a stupéfait les chercheurs

« On a mis le dispositif le plus minimal parce qu’on ne disposait pas d’un énorme budget et nous avons obtenu des résultats vraiment probants. Nos recherches ont montré que quand on voit passer un feu de forêt, surtout lorsqu’il menace des citoyens et leurs biens, on en est désolé, mais écologiquement parlant, un feu est loin d’être une catastrophe pour la biodiversité! »

Dans les deux années qui ont suivi le grand feu de 1999, les scientifiques ont dénombré « beaucoup d’activité biologique », dont deux fois plus d’espèces d’insectes. « Des espèces se servent des feux comme d’un tremplin. Leur population va augmenter et, éventuellement, ça va s’estomper. Les arbres qui brûlent ne sont pas dénués d’intérêt pour les insectes, dont le longicorne noir, qui est une source d’alimentation pour le pic à dos noir. Cet oiseau va donc en profiter, beaucoup. » Et il n’est pas le seul. « La présence de petits prédateurs peu connus va augmenter fortement et ensuite, on n’en verra plus ou très peu », relate le scientifique, visiblement fasciné par ces statistiques.

Des leçons à tirer

Si un parc joue pleinement son rôle de point de référence dans le temps pour les chercheurs, les constats qui sont tirés des échantillonnages et des analyses effectués sur place sont pourtant applicables ailleurs.

« Les dommages associés aux insectes comme le longicorne ont un impact sur les opérations forestières. Ces insectes creusent des galeries dans le bois et l’abîment. Nos travaux rencontrent une double fonction. D’abord, on aide à prédire les endroits où il y aura beaucoup de longicornes et où la valeur économique du bois sera très affectée. Puis, en soustrayant certains endroits à l’industrie forestière qui n’y trouverait pas son compte, ça permet de mieux protéger la biodiversité. Les longicornes sont des indicateurs d’activité biologique. Ils génèrent eux-mêmes des conditions favorables pour une foule d’autres organismes! »

Un feu de forêt n’est pas la catastrophe annoncée sur le plan écologique

Parlant biodiversité, le tableau, 20 ans après la grande flambée, était toutefois accablant. « En 2019, on a remarqué une diminution importante de l’activité des insectes dans nos sites d’échantillonnage, de l’ordre de 60 %, ce qui est énorme. Le déclin de la biodiversité est notable, même au parc des Grands-Jardins, même dans la portion non brûlée. On ne se l’explique pas complètement. On a beaucoup pointé du doigt l’agriculture, l’urbanisation, mais ici on parle de la forêt boréale, du parc des Grands-Jardins en particulier. Ce n’est pas un endroit urbanisé ni près de zones agricoles. C’est un endroit assez naturel donc ça suggère que des choses se passent à un autre niveau. Est-ce la pollution, des changements globaux, climatiques? On essaie de comprendre, mais il faut multiplier les recherches pour brosser un portrait général plus clair, basé sur des constats solides. »

Quoi qu’il en soit, un feu de forêt n’est pas la catastrophe annoncée sur le plan écologique. « Un feu génère des conditions uniques pour des plantes, des insectes, champignons, oiseaux, toute une biodiversité. C’est une réinitialisation du système! », conclut Christian Hébert.

Lire aussi : Interdiction de faire des feux à ciel ouvert en forêt ou à proximité

Une nouvelle, un événement à faire paraître?

Ayez le réflexe VAL-OUEST

Lire aussi...