Le Val-Ouest

Friperie du village à Racine : Trois millions de vêtements récupérés en 30 ans

La Friperie du village, située à Racine, souligne cette année son 30e anniversaire. La propriétaire, Chantal Lesley, trace le bilan de ce commerce phare qui a pignon sur rue au cœur de la municipalité depuis trois décennies.

Donner une deuxième vie et éviter le gaspillage

« Je trie environ 50 poches de vêtements par jour. En 30 ans, j’ai donc trié environ 3 millions de morceaux », estime Chantal Lesley. « C’est fou à quel point nous consommons. Des montagnes et des montagnes de vêtements. Ce sont donc 3 millions de chances de récupérer, de donner une deuxième vie et d’éviter le gaspillage », ajoute-t-elle.

Démarrer à Racine plutôt qu’ailleurs

En 1994, Chantal Lesley travaillait de nuit sur la chaîne de montage chez Bombardier (aujourd’hui BRP) à Valcourt. « Je n’aimais vraiment pas ça et j’avais mal au ventre avant d’y aller. Une amie, Céline Cloutier, m’a proposé de suivre avec elle un cours en démarrage d’entreprise offert par le Cégep de Granby. J’ai accepté. »

Tranquillement, un projet d’entreprise naît dans la tête de Chantal Lesley et de Céline Cloutier, toutes deux dans la vingtaine. « Nous avons pensé démarrer une boutique de vêtements neufs. Notre étude de marché ciblait Granby, Acton Vale ou Magog. Mais les frais de loyer étaient importants et nous n’avions pas un sou. Nous étions un peu découragées. »

Grâce à un appui financier de leurs mères, les deux jeunes femmes choisissent de démarrer une entreprise plus modeste, dans le village de Racine. Un local était justement à louer sur la rue Principale. « Je trippais sur les vieilles vitrines de la devanture. Le propriétaire nous a offert d’arranger l’espace selon notre besoin. » La Friperie du village voit ainsi le jour. Dans un lieu que l’entreprise occupe encore, 30 ans plus tard.

Céline Cloutier et Chantal Lesley à leurs débuts. Publicité dans La Tribune, 2 avril 1999. (source : BAnQ)

« Plein de gens nous ont encouragé et accueilli »

Rapidement, les deux entrepreneures choisissent de rester pour de bon à Racine. « Plein de gens nous ont encouragé et accueilli. Ça nous a donné le goût de rester ici. Et les loyers sont bien moins chers. Ma mère habite dans le village, tout près. C’est du bonheur d’être aussi proche. »

Elle est aujourd’hui convaincue que si son entreprise avait démarré dans un plus grand centre urbain, elle aurait dû fermer ses portes. « Les friperies en ville ne sont pas assez payantes pour réussir à tout payer et avoir un salaire. Ce n’est pas une entreprise à but non lucratif que je gère. Je gagne ma vie avec ça. »

Après 10 ans, une seule propriétaire

C’est d’ailleurs le constat qu’ont fait les deux entrepreneures, après une dizaine d’années à collaborer ensemble. Céline Cloutier choisit de quitter et Chantal Lesley devient alors l’unique propriétaire. « À deux, on ne réussissait pas à avoir deux salaires. Même s’il y a beaucoup d’ouvrage, pour deux ou trois personnes. »

Chantal Lesley embauche aujourd’hui trois employées à temps partiel pour lui donner un coup de main. Et le travail ne manque pas. Presque chaque jour, elle doit trier toutes les poches de linge. Elle garde les plus beaux morceaux pour sa boutique. Si les vêtements qu’elle ne conserve pas contiennent du cuir, de la fourrure, de la laine ou du jeans, elle les envoie à des artisans de la région qui vont leur donner une deuxième vie. Le reste s’en va à l’organisme d’insertion socioprofesionnelle Récupex à Sherbrooke.

Céline Cloutier et Chantal Lesley lors de la fête soulignant le 30e anniversaire de la boutique.  (photo : Friperie du village)

Le secret du succès

Au fil des ans, la boutique s’est bâti une solide réputation. « Il y a du monde qui vient de la Beauce, Québec, Val-des-Sources, Saint-Hyacinthe, Bromont… Ça vient de partout », révèle-t-elle.

Qu’est-ce qui explique ce succès? La qualité des vêtements qu’on y trouve. Son secret pour les acquérir? « Je vais à Montréal toutes les deux semaines chercher des vêtements dans des encans, des bazars et des comptoirs. J’ai aussi un réseau de particuliers qui me ramassent des vêtements dans des quartiers aisés. Je remplis le camion avec mon père et on revient avec plein de belles affaires. »

Depuis le COVID, on s’habille en « mou »

Bien qu’elle tienne une grande sélection de vêtements, la clientèle de la région choisit d’abord un look décontracté. « Des robes de bal, des complets et des habits, ce n’est pas ça que je vends. En plus, depuis la COVID, la clientèle s’habille plus en « mou ». C’est-à-dire des vêtements de tous les jours et des vêtements de sports. »

« Au début, les gens étaient gênés de rentrer dans une friperie »

Chantal Lesley constate que la perception du public face aux friperies s’est transformée en 30 ans. « Au début, les gens étaient gênés de rentrer dans une friperie. Mais maintenant, ce n’est plus le cas. Les clients sont conscients qu’ils peuvent trouver de beaux vêtements pour bien moins cher. »

Le marché s’est aussi transformé. « Il y a toujours eu des friperies dans les grandes villes, comme à Sherbrooke avec Estrie Aide. On a vu arriver des entreprises comme le Village des valeurs. Je trouve que ça prend tous ces commerces, parce que c’est assez impressionnant tous les vêtements qu’on consomme. »

Son coup de cœur : le défilé de mode

Son coup de cœur des trois dernières décennies? Le défilé de mode qu’elle a organisé en 2006, dans le cadre des Fêtes du terroir qui soulignaient le centième anniversaire du village. « C’était un gros événement. J’ai travaillé pendant un an à ramasser de vrais vêtements des 100 dernières années. »

Plusieurs Racinoises et Racinois se sont prêtés au jeu de devenir mannequins. « On a couvert plein d’époques : l’après-guerre, les années Rock&Roll, les hippies, l’époque yéyé, etc. La comédienne Claire Jean était responsable de l’animation. Ç’a vraiment été un succès. »

Des Racinoises et Racinois se sont prêtés au jeu du mannequinat dans le cadre d’un défilé de mode organisé pour les 100 ans du village de Racine, en 2006.  (photo : Friperie du village)

Un costumier connu du milieu du théâtre et du cinéma

La Friperie du village est aussi reconnue pour son costumier. Il s’agit d’une pièce de la boutique, habituellement fermée au public. Qu’elle ouvre sur demande ou pendant l’Halloween. On y trouve des vêtements d’époque et des déguisements de toutes sortes. « Je loue des costumes pour des pièces de théâtre, des soupers meurtre et mystère, l’Halloween et même des films. » Elle en donne pour exemple le film Funkytown, pour lequel elle a loué de nombreux vêtements.

La Friperie du village a loué des costumes qui se retrouvent dans le film Funkytown mettant en vedette Patrick Huard.

Deux défis : les égouts et la COVID

Deux événements sont venus assombrir quelque peu ces belles années en affaires. Le premier, au tournant des années 2000 : la rénovation du réseau d’égouts de Racine. Qui a réduit presqu’à néant la clientèle pendant quelques mois. « Je ne fais plus que 10 $ ou 15 $ de profit par jour », avait alors mentionné sa collègue Céline Cloutier en entrevue à une journaliste de La Voix de l’Est.

En 2000, des travaux d’infrastructures ont causé bien des maux de tête aux commerçants de la rue Principale à Racine. Article paru dans La Voix de L’Est le 25 septembre 2000. (source : BAnQ)

Plus récemment, la pandémie de COVID fut un autre coup dur. « J’étais déprimée et découragée. Mon conjoint et moi sommes tous les deux à notre compte. Nous nous retrouvions à la maison, en compagnie des deux enfants qui n’avaient plus d’école. Pas d’argent. Ç’a été stressant. »

Pendant cette période, la population a continué d’apporter des vêtements à la boutique. «J’avais trop de stock et la récupération ne passait plus. J’ai donc mis des vêtements à donner, dehors. Ça n’a pas été un bout facile, mais on s’en est sorti. »

« J’aime encore ça »

Aime-t-elle encore son travail? Elle répond par l’affirmative. « J’aime encore ça. Sinon, je ne serais plus là. Mais je travaille très fort. Je fais tous les métiers : réparation, ménage, lavage, comptabilité… Ce n’est pas pour rien que Benoit Garneau, le chiropraticien à Racine, est mon bon ami! », lance-t-elle en riant. Elle avoue qu’à ce rythme effréné, elle ne poursuivra peut-être pas pour un autre 30 ans.

Un grand plaisir : créer les vitrines

Ce qui allume encore la flamme de Chantal Lesley, c’est son impression de faire sa part pour la société, par la récupération. « On n’a pas le choix. Sinon, on va s’enterrer dans nos poubelles. »

Son grand plaisir, qui ne l’a jamais quitté : concevoir les vitrines de son magasin. «J’adore ce côté créatif. Créer le décor et les vitrines, je ferais juste ça», confie-t-elle.

Les vitrines de la Friperie du village se démarquent par leur originalité. « J’adore ce côté créatif. Créer le décor et les vitrines, je ferais juste ça », confie Chantal Lesley.  (photo : Friperie du village)

Tisser des liens et mettre en valeur

Chantal Lesley a à cœur de tisser des liens étroits avec la communauté. Elle se fait aussi un devoir de mettre en valeur le travail des artisanes et artisans de la région. En proposant leurs créations dans sa boutique : bijoux, tricots, produits au lait d’ânesse, herbes, etc. « Nous sommes vraiment chanceux. Ce sont de beaux et bons produits. Je suis contente de donner une vitrine aux artisans d’ici. »

Même élan en ce qui concerne les commerces du coin. « Lorsque les gens viennent de l’extérieur, je leur dis d’aller faire un tour à la chocolaterie Les douceurs de Lory, aux Cochons tout ronds, à la Fromagerie Nouvelle-France, à la Boucherie Lamarche ou à la boulangerie Au cœur du pain. »

Et la Friperie profite du retour du balancier. Ce qui est le cas pendant la saison estivale, lorsque le populaire Marché Locavore lui amène beaucoup d’achalandage les samedis.

La Friperie du village a à coeur de mettre en valeur les produits créés par des artisanes et artisans de la région.  (photos : Friperie du village)

« Je veux que l’entreprise continue »

Bien qu’elle soit encore loin de la retraite, Chantal Lesley pense déjà la suite. Elle souhaite que son entreprise perdure dans le temps. « L’entreprise va bien et je veux qu’elle continue. J’aimerais que quelqu’un reprenne ça et le modifie à sa guise. Par exemple, les jeunes vendent beaucoup en ligne. Et ça marche bien, pour les friperies. Mais je ne suis pas là. Je n’ai pas le temps et je n’aime pas assez ça. »

Ne pas avoir vu le temps passer

Chantal Lesley dit ne pas avoir vu le temps passer. « Il y a quelques années, j’avais des mamans qui venaient à la boutique avec leurs enfants. Aujourd’hui, ce sont leurs enfants qui viennent avec leurs propres enfants. Là, je me dis : ok, c’est vrai que ça fait 30 ans! »

Chantal Lesley entourée de son père, Jacques Lesley, et de sa mère, Mariette Bombardier.  (photo : Friperie du village)

Touchée de l’hommage rendu

Elle se dit très touchée de l’hommage que lui ont récemment rendu sa famille et la communauté, dans le cadre d’une activité spéciale soulignant le 30e anniversaire. « J’ai reçu plein d’encouragements et une grosse vague d’amour. Ça me donne encore plus le goût de continuer. »

Une fête a été organisée récemment avec des parents, des amis et la communauté racinoise pour célébrer les 30 ans de la Friperie du village.  (photo : Friperie du village)

« Quand j’ai commencé ce beau gros projet, j’avais espoir de voir la consommation de vêtements changer. D’inviter les gens à prendre conscience de l’effet de mode ainsi que d’en sensibiliser quelques-uns à la récupération. J’avais aussi espoir d’en faire un endroit communautaire, propre et plaisant, où les gens se trouvent de beaux morceaux. Et aujourd’hui, je peux dire avec fierté : mission réussie! »

 

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