Les lilas ont fleuri. Ils embaument sans retenue. Plus hâtifs et généreux qu’à l’habitude. Et tellement impressionnants avec leurs cônes lourds de leur enivrant parfum. Dame nature semble vouloir rappeler qu’elle pourrait et peut encore faire des merveilles pour peu qu’on lui en donne la chance.
J’aimerais bien que l’usage du français au Québec connaisse un tel printemps.
Dans une lointaine vie antérieure, alors que j’étais en mission en Tunisie, j’ai été invité à faire une sortie du côté de Sidi Bou Saïd, un endroit merveilleux tout à côté du site archéologique de Carthage. Si j’ai beaucoup aimé Sidi Bou Saïd pour le bleu si caractéristique de son décor et sa vue sur la mer, le site archéologique de Carthage m’a fait faire un curieux voyage intérieur. Je touchais physiquement les vestiges d’une civilisation disparue, celle des Phéniciens, ayant existé de 1200 à 300 avant J.-C. La conquête de la ville par l’Empire romain aura fait passer leur culture à l’Histoire.
Je savais théoriquement qu’une civilisation pouvait disparaitre, mais j’en avais en quelque sorte la preuve matérielle et palpable pour la première fois. Depuis ce jour, je suis plus sensible au côté somme toute éphémère des peuples et des cultures. Le nombre et la diversité des génocides commis à travers le monde nous le rappellent bien tragiquement et bien tristement.
Enfant de la Révolution tranquille, la fragilité de ma langue maternelle m’interpelle. Dans la foulée de cette mouvance sociale à saveur de sage révolution, le Parti Québécois promulguait la loi 101, dite Charte de la langue française. C’était en 1977. Depuis, on n’a jamais suivi d’aussi près son état de santé, tantôt pour s’en réjouir, le plus souvent pour s’en inquiéter. À en croire les dernières statistiques1, le français est en recul au Québec, notamment à Montréal et Gatineau.
Ce n’est pas rien puisque ces deux villes totalisent 24% de notre population. La ville de Montréal compte à elle seule pour 21%. Hélas, ce n’est que 59,9% de la population de la région métropolitaine qui a recours au français dans l’espace public. Il s’agit d’une proportion pour le moins inquiétante. Et dans le monde du travail, l’anglais a gagné en vingt ans deux points de pourcentage comme langue le plus souvent utilisée. Une tendance lourde.
Sans doute la menace qui plane sur nos têtes en est une d’assimilation davantage que d’extinction2, du moins à court et moyen terme. C’est une guerre de culture plus que de tranchée. L’arme la plus menaçante en est la puissance d’une économie, l’anglo-américaine, qui impose une domination tant du monde des affaires que de la culture. Et la langue n’y échappe évidemment pas. Les raisons commerciales anglaises que choisissent trop souvent les entreprises québécoises nous le rappellent hélas trop bien.
Difficile de résister à la « pandémie culturelle » américaine doublée de sa suprématie économique, militaire et technologique. À l’évidence, la langue anglaise est devenue l’espéranto utilisé à travers le monde. Il faut bien se faire à l’idée. Et il en est de même du dollar américain, toujours la monnaie de référence mondiale, même si la Chine aimerait bien le déloger avec le yuan.
À en juger par ce qu’il s’écrit sur l’avenir d’un Québec francophone, la question en préoccupe plus d’un et laisse peu de gens indifférents notamment dans les univers politique et culturel. Le monde des affaires se fait plus discret, pour des raisons évidentes. La rentabilité d’abord. Quant à celui des médias et des réseaux sociaux, il ne fait jamais trop parler de lui. Rien ne semble pouvoir arrêter ce lucratif rouleau compresseur culturel américain. Guy Latraverse, imprésario à la fibre québécoise tatouée sur le cœur, n’est hélas plus là pour dynamiser et offrir à notre propre monde du spectacle sa vitrine et son aura d’alors.
La relation que chacun entretient tant avec sa langue qu’avec sa culture a une composante affective certaine. Mais l’attachement qu’une majorité de la population peut ressentir à leur endroit demeure subordonné à sa survie économique et sociale. Il semblerait que les groupes les plus perméables à cette contamination de l’anglais soient les jeunes et les immigrants. Nous avons tous été jeunes, assez pour savoir que nous n’avons d’autre choix que de leur faire confiance et de soigner « jalousement » tant notre système d’éducation que notre univers culturel et … nos politiques d’immigration !
Tout n’est peut-être pas perdu. Des voix s’élèvent, qui invitent à une lecture nuancée des compilations statistiques. « Des fois, je désespère. Mais la plupart du temps, je me dis que nous, Québécois de toutes provenances, sommes trop têtes de cochon pour nous laisser disparaître. Ça n’arrivera pas … Nous ne sommes pas tuables. » Marie-France Bazzo3
1- OQLF 2024 Rapport sur l’évolution de la situation linguistique de l’Office québécois de la langue française
2- Noémi Mercier 2024-05-21 L’identité québécoise n’est pas en voie d’extinction La Presse+ https://www.lapresse.ca/dialogue/2024-05-21/place-publique/l-identite-quebecoise-n-est-pas-en-voie-d-extinction.php
3- Marie-France Bazzo 2024-04-30 Pas tuables La Presse+ https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/2024-04-30/pas-tuables.php
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