Les jours ont beau se faire plus longs et la lumière gagner lentement sur la nuit, je n’arrive toujours pas à sortir de ma torpeur. Je cumule les chocs. Aussi bien émotifs que physiques. Je ne sais plus à quel évènement attribuer mon humeur du jour, morose ou grincheuse. Parce que mes états d’âme varient de jour en jour. Je dois reconnaitre que ce ne sont pas les occasions de maugréer qui manquent non plus que celles de m’inquiéter.
Commençons par la condition physique. Aux yeux de ma douce, je suis toujours aussi énergique, entrepreneur et résistant. Je finirai par croire que l’amour rend aveugle. Ce qui n’est pas plus mal. Mais je me sens si loin de cette image quand les souvenirs de mes plus jeunes années refont surface. Ce n’est pas que je m’ennuie de l’effervescence de cette période de ma vie, mais au fil des ans, ma vitalité s’est quelque peu émoussée et mon entrain est devenu plus sélectif. Demain. J’ai davantage recours à demain pour alléger mes « aujourd’hui ». À y regarder de plus près, je vois bien comment performance et productivité sont affaire de pression sociale, la vie comme la mort se souciant assez peu de mon rapport au temps. Ce qui bien sûr me laisse un peu songeur.
Vieillir ? La belle affaire! Porter tambour battant le drapeau de la beauté du vieil âge ? Au risque de décevoir, je renonce. Bien vieillir, j’y travaille. Je ne parviens toutefois pas à me sortir de la tête que tous mes efforts ne changeront rien à l’histoire. C’est ce côté cynique qui m’amène aussi à relativiser après coup l’importance de mes contributions dans tout ce que j’entreprends et aurai entrepris. Heureusement, j’ai à ce chapitre un problème de mémoire. J’oublie très vite que la portée de mes gestes sera passagère. Je suis un peu comme le merle américain de mon jardin qui reconstruit inlassablement son nid à l’endroit précis où je juge qu’il ne doit pas le faire. J’ai beau défaire le fruit de son labeur, rien n’y fait. Il s’entête et recommence tant que dure la saison des amours. Pas plus fin, j’ai toujours fait un peu comme lui. Je m’engage et m’enflamme comme s’il y allait de la survie de l’humanité. Tout compte fait, c‘est peut-être mieux ainsi. Un peu de naïveté entretient l’enthousiasme.
Ce long préambule sur mes états d’âme pour faire comprendre d’où je parle et tenter d’expliquer mon désarroi devant l’éclatement de ce que je croyais être les acquis de l’humaine existence. Je pense ici au sort fait aux femmes en Iran et en Afghanistan, voire en notre Belle Province même si ce n’est pas aussi institutionnalisé. La belle excuse. Je pense à l’invasion russe en Ukraine. Onze mois plus tard, la sauvagerie des attaques y est devenue si brutale qu’on a peine à imaginer qu’une telle barbarie puisse encore exister. Et comment ne pas craindre un dérapage international alors que plusieurs pays sont déjà impliqués de part et d’autre ? Difficile aussi d’oublier l’égocentrisme des oligarques russes qui fuient au Qatar, à Dubaï ou en tout autre pays complice trop heureux de clamer leur neutralité au moment d’ouvrir leurs portes à ces fortunes indécentes.
Je pense également au fanatisme de ces « soldats du bon droit » qui, aux États-Unis, assassinent sans vergogne, insensibles à l’absurdité de leurs gestes et à son effet d’entrainement, et ce jusqu’auprès d’enfants de moins de dix ans. Je pense aussi à la remise en question de la démocratie, de plus en plus contestée comme mode de gouvernance aussi bien au sein des démocraties par les tenants d’une approche d’extrême droite que par les pays autocratiques, notamment la Russie, la Chine, la Corée du Nord et les Émirats, pour ne nommer que ceux-là. Je pense encore à la crise en Haïti, à la famine à travers le monde, au traitement réservé aux migrants ou aux travailleurs agricoles saisonniers par nos sociétés dites civilisées. Et tout cela sans parler des changements climatiques. Ouf !
Enfin, dans un tout autre ordre d’idée, je suis demeuré stupéfait d’apprendre le rôle fort discutable pour ne pas dire scandaleux joué par le cabinet-conseil McKinsey1 auprès de sa clientèle. Aux dires d’analystes, il ne se priverait pas d’encourager un capitalisme sans scrupule aussi bien en pays démocratique qu’au sein de la dictature chinoise.
Certains jours, j’ai la tête qui éclate, je voudrais seulement dormir2. Est-ce l’âge ou un sentiment d’impuissance qui m’amène à nourrir de pareilles idées sombres ? Y a-t-il réellement péril en la demeure ? Pour me rassurer et encore espérer, je me rappelle l’énergie des générations montantes et les époustouflantes réalisations de notre humanité, effectivement capable aussi du meilleur.
1 McKinsey, le cabinet du capitalisme toxique Jean-François Lisée, Le Devoir 2023-01-25
2 Le monde est stone Chanson de Luc Plamondon
Lire la chroniquer précédente : Soleil curieux et sapin volant
4 avis au sujet de « J’ai la tête qui éclate »
Merci monsieur Carbonneau.! Toujours édifiant vos propos. J’aime vous lire!
WOW! Merci de partager cette réflexion avec nous. Elle me touche particulièrement avec cette vue d’ensemble de l’individu vers une société dont les actions soulèvent des questions. Bravo!
Merci Michel!
Il y a aussi (il reste) l’écriture?
Nicolas
Encore une fois Merci M. charbonneau de partager votre réflexion, tellement triste et décevante de notre réalité humaine 2023, mais ô combien, hélas, véridique… Toutefois, tout comme vous, je crois aussi à ces jeunes conscients et engagés pour un monde meilleur! Suivons-le et agissons avec eux! Gratitude pour votre belle plume éclairante, et oui, stimulante malgré les chaos…!
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