Le Val-Ouest

La grande migration climatique des motoneigistes

Avec les températures élevées et la faible quantité de neige au sol, plusieurs sentiers de motoneige sont fermés dans plusieurs régions du Québec. Pour poursuivre leur passion, les adeptes n’ont pas d’autre choix que de se déplacer au nord à la conquête de l’or blanc. Reportage sur le circuit de la Passerelle du 49e, dans le nord du Lac-Saint-Jean. Pour une rare fois cet hiver, la température affiche -20 °C en ce mardi matin, alors que le soleil brille sur le lac des Coudes, en bordure du relais de motoneige du même nom.

Un couple est arrivé avant la cohue du dîner, pour se reposer et pour manger, alors qu’ils prévoyaient faire 250 kilomètres de motoneige entre Roberval et Dolbeau-Mistassini dans la journée. «On devait aller en Beauce cette année, mais deux jours avant il y a eu trop de pluie et ils ont fermé les pistes», soutient Manon Jean, accompagnée de son conjoint Guy Messier.

«On a réussi à faire 930 kilomètres de motoneige dans notre coin, à Terrebonne, mais il faudra une autre bordée pour en refaire par chez nous», dit-il. Alors que l’heure du dîner approche, les clients commencent à affluer au relais de motoneige. Yves Martel, de Thetford Mines, et son fils Francis, de Daveluyville sont du nombre. «On devait partir de notre coin pour aller se promener, par exemple à Rivière-du-Loup comme on a fait l’an dernier, mais avec le redoux, les sentiers sont fermés», lance Francis.

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En regardant les options, il fallait aller au Saguenay-Lac-Saint-Jean ou dans le Grand Nord pour faire de la motoneige, car même la Gaspésie manque de neige cette année. «Mon gars prenait une semaine de vacances avec moi pour faire de la motoneige, et c’était ici le plus proche où il y avait de la neige.» Yves Martel

Même si les Jeannois trouvent qu’il manque de neige, les adeptes du Centre-du-Québec sont comblés par les conditions. «En termes de neige, c’est notre régulier chez nous, mettons », note Yves, qui apprécie les sentiers isolés de la civilisation. «Les sentiers super beaux et le décor magnifique. On a même croisé un lynx et un renard ce matin».

Migrer au nord pour la neige

Les conditions météorologiques et le manque de neige font en sorte que les motoneigistes sont nombreux à migrer vers le nord cet hiver, constate Oriane Chagnon, la concessionnaire du Relais du lac des Coudes depuis deux ans. «On a beaucoup de monde de l’Ontario et des États-Unis et plusieurs nous disent qu’ils viennent ici parce qu’il manque de neige chez eux », dit-elle.

Arlin Benner, un agriculteur de Mount Joy, en Pennsylvanie, est un habitué des séjours de motoneige au Québec, car il y vient depuis plus de 20 ans. Mais avec le manque de neige par chez lui, il arrive à convaincre de plus en plus d’adeptes de venir au nord avec lui, dit-il lorsque rencontré dans le stationnement de l’Hôtel du Jardin, à Saint-Félicien. «Les sentiers sont vraiment bien entretenus et les paysages sont magnifiques», lance l’homme qui planifiait parcourir près de 1200 kilomètres en cinq jours, avec ses amis Bob Sensenig et Elwood Martin, qui en étaient respectivement à leur deuxième et troisième séjour au Québec.

La faible quantité de neige dans le sud du Québec, mais aussi dans le nord-est des États-Unis et en Ontario, fait en sorte que les motoneigistes viennent découvrir les sentiers du Saguenay-Lac-Saint-Jean confirme Suzanne Richard, la copropriétaire d’Otis Nature, un site touristique situé à Lamarche. «Je pleurais un matin quand il y a eu de la pluie il y deux semaines, mais en après-midi, la situation a viré de bord, parce qu’il y tellement de monde qui ont appelé pour réserver parce qu’il n’y avait plus de neige dans leur coin ou à l’endroit où ils voulaient aller, dit-elle. Ça amène un taux d’achalandage bien au-dessus de la moyenne pour l’hébergement et la restauration.»

Beaucoup de sentiers fermés

Il suffit de jeter un coup d’œil à l’application i-motoneige ou à la carte interactive de la Fédération des clubs de motoneige du Québec, pour voir que des dizaines de sentiers sont fermés dans plusieurs régions du Québec, non seulement dans le sud, mais aussi dans le Centre-du-Québec, dans Chaudière-Appalaches et au Bas-Saint-Laurent, remarque Dominique Gobeil, le directeur général du Parc régional des Grandes-Rivières du lac Saint-Jean.

«Même si on n’a pas beaucoup de neige comparativement à ce qu’on a habituellement, on en a beaucoup plus qu’ailleurs», dit-il.

L’hiver nordique, une valeur refuge

Avec une année aussi chaude, il est de plus en plus difficile de nier les impacts des changements climatiques. Malgré les nombreux impacts négatifs, certaines régions peuvent en tirer profit et c’est notamment le cas au Lac-Saint-Jean, croit Dominique Gobeil. «Notre hiver devient une valeur refuge pour la motoneige», estime le directeur général du parc régional qui a développé le concept du circuit de la Passerelle du 49e.

Ce circuit de 236 kilomètres dédié aux motoneiges (et aux quads en été) permet de parcourir le nord du Lac-Saint-Jean en empruntant sept passerelles entre Saint-Félicien et Péribonka, qui ont nécessité des investissements de près de 20 millions de dollars depuis 2018.

«Dans une perspective de changement climatique, on savait que les hivers seraient plus doux et que la pratique de la motoneige serait moins possible plus au sud», soutient Dominique Gobeil. Faute de boule de cristal, il n’était pas possible de prédire quand allaient subvenir de tels changements, mais force est de constater que l’on observe des changements plus marqués cet hiver. «On se positionne pour espérer tirer notre épingle du jeu et avoir une haute saison touristique hivernale», poursuit ce dernier.

«En investissant dans les infrastructures clés, comme les passerelles pour créer un circuit de 236 kilomètres, on savait que l’on pouvait offrir un produit de qualité pour attirer les adeptes.»

Signe de l’engouement, les entreprises et les services sont de plus en plus nombreux à se greffer à l’expérience. Cinq nouveaux sites offrent maintenant du carburant, dont un nouveau relais avec hébergement, le Chalet du 49e parallèle, ouvert à Notre-Dame-de-Lorette par la municipalité.

Une autre entreprise est aussi en pleine expansion, car Daniel Leblanc, un entrepreneur de l’Estrie a racheté la pourvoirie Aventure Maria-Chapdelaine, fermée depuis 2016, pour créer le Domaine du lac Éden. En plus d’améliorer les neuf chalets existants, l’homme ajoutera quatre chalets neufs, pour une capacité d’hébergement de 60 personnes, avec un spa et des saunas, en plus de relancer le service de bar et de restaurant, et d’ajouter le service de carburant.

En tout et partout, il investira deux millions de dollars dans le projet. «C’est une super belle opportunité d’affaires parce qu’on est juste à côté du sentier de motoneige et il manque d’hébergement dans la MRC de Maria-Chapdelaine», lance le promoteur ajoutant qu’il est tombé en amour avec la région. «C’est une fierté de voir que des entrepreneurs sont intéressés à investir et que ça crée des retombées dans le milieu», note pour sa part Dominique Gobeil. «Avec tout le travail de mise en valeur faite pour la motoneige dans les monts Valin, on vient bonifier l’offre dans la région en ajoutant des sentiers pour les adeptes», ajoute Dominique Gobeil.

Une offre qui séduit

Lancé en 2018, le circuit de la Passerelle du 49e séduit déjà plusieurs adeptes, dont Benoît Giguère, Michel Carrier et Annie Roberge, trois motoneigistes de la région de Québec, qui avaient planifié leur séjour de motoneige dans le secteur. «Tranquillement, le mot se passe et tout le monde en parle [du circuit de la Passerelle du 49e]», remarque Michel Carier, qui, charmé par la région, s’est acheté un terrain à Sainte-Monique avec sa conjointe Annie Roberge. «C’est incroyable, comme c’est beau et que c’est bien gratté», renchérit Benoit Giguère, qui en est à son premier séjour. «C’est à refaire», dit-il.

Normand Arbour fait pour sa part partie d’un groupe formé de trois couples de Lévis qui avaient prévu leur séjour dans la région. «On en avait beaucoup entendu parler et on a décidé de réaliser ce rêve cette année», note l’homme qui apprécie l’ambiance des relais de motoneige et l’accueil de la région. «Ça nous donne des idées pour plusieurs années parce qu’il y a tellement de beaux sentiers», ajoute-t-il.

Mardi dernier, ce sont près de 35 motoneigistes qui sont arrêtés manger au relais du lac des Coudes, un petit midi pour l’entreprise. «On a souvent plus de 50 personnes sur l’heure du dîner et les samedis c’est toujours plein, avec plus de 200 personnes, souligne Oriane Chagnon. Ces jours-là, on travaille sans arrêt entre 9 h et 23 h».

Au moment d’écrire ces lignes, les réservations pour le mois de mars continuaient d’affluer, car les conditions ne semblaient pas s’améliorer ailleurs au Québec.

Pour certains, la rareté de la neige a permis de leur faire découvrir le potentiel de motoneige au Lac-Saint-Jean, croit Suzanne Richard, d’Otis Nature. « Quand ils découvrent la beauté de nos sentiers et des passerelles, ils reviennent d’année en année », dit-elle. Ces propos sont confirmés par tous les motoneigistes rencontrés, qui ont soutenu qu’ils reviendront au Lac-Saint-Jean pour profiter de la neige. Comme quoi les changements climatiques pourraient bénéficier à certaines entreprises de la région.

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