La municipalité de Racine est interdite d’acheter au dépanneur local. Pourquoi? Parce que l’un des nouveaux propriétaires du Magasin général de Racine (connu maintenant sous le nom La Pôtinerie), est le conseiller municipal Nicolas Turcotte.
Aucun intérêt dans les contrats de la Municipalité
La Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale est très claire sur la question. Selon l’article 1.3, « un élu ne doit pas avoir sciemment un intérêt direct ou indirect dans un contrat avec la municipalité ». Conséquence : le personnel municipal doit désormais aller à Valcourt une à deux fois par semaine pour faire le plein d’essence. Divers achats doivent aussi se faire hors de Racine.
Une loi qui « manque de nuances »
« Je comprends l’esprit de la loi et je la trouve correcte sur le fond. Par contre, ça manque totalement de nuances. Si nous avions deux dépanneurs à Racine, il n’y aurait pas de problème, nous irions ailleurs. Le fait qu’il n’y ait pas deux dépanneurs fait aussi en sorte qu’il n’y a pas de compétition déloyale entre deux commerces. La loi est faite pour les plus grosses municipalités. Il n’y a pas de souplesse », exprime Mario Côté, maire de Racine.
Même son de cloche de la part du principal intéressé, le conseiller Nicolas Turcotte. « La loi semble assez intransigeante. C’est une situation que tout le monde déplore : la municipalité, les employés municipaux, les citoyens et nous, au dépanneur. »
Il explique que lorsqu’une municipalité achète de l’essence auprès d’un commerçant, les parties signent ensemble un contrat. « C’est un contrat égal et ouvert pour tout le monde. On s’entend sur un montant et un prix.
Des inconforts davantage que des manques à gagner
La perte de gains n’est pas importante pour l’entreprise racinoise. « Compte tenu que les marges sur l’essence sont très faibles, on parle d’environ 30 $ à 40 $ de bénéfices en manque à gagner », soutient Nicolas Turcotte.
Les deux élus font savoir que ce sont les inconvénients pour le personnel municipal et la logique de la situation qui les rendent inconfortables. « Ça met plein de bâtons dans les roues. Prenons par exemple la récente organisation de la fête de la Saint-Jean par la municipalité de Racine. Les organisateurs étaient habitués de se ravitailler au dépanneur. Nous avons dû aller à Valcourt et à Sherbrooke pour payer les items plus chers que si nous les avions achetés au dépanneur », précise le conseiller.
Sensibiliser les élus provinciaux
Le maire assure qu’il a tenu informé la Commission municipale du Québec de la situation. La commission est un organisme gouvernemental et un tribunal administratif indépendant qui assure le respect des normes et des lois s’appliquant à la gestion des municipalités du Québec. Elle peut, par exemple, mener des enquêtes administratives sur les divulgations visant des élus municipaux ou du personnel de cabinet pour de possibles manquements aux règles de leur code d’éthique et de déontologie.
Questionné par Le Val-Ouest, l’organisme n’a pas été en mesure de répondre parce qu’il ne peut donner d’avis juridique ou commenter un dossier particulier.
Mario Côté indique qu’il souhaite éventuellement faire des démarches auprès du député André Bachand pour le sensibiliser à cette situation.
Situation semblable à Saint-Denis-sur-Richelieu
Notons qu’il existe d’autres cas semblables ailleurs au Québec. Des situations qui ont d’ailleurs mené à des sanctions. C’est ce qui est arrivé à Douce Labelle, conseillère municipale à Saint-Denis-sur-Richelieu, en Montérégie. En septembre 2022, le tribunal a imposé à Mme Labelle une suspension de 60 jours de toutes ses fonctions de conseillère municipale. Et ce, parce que la municipalité avait acheté de l’essence pour certains de ses véhicules à la seule station du territoire, qui est la propriété de son conjoint depuis 20 ans.
Dans sa décision, le juge a souligné la bonne foi et l’absence d’antécédents déontologiques de la part de l’élue. Cette dernière a d’ailleurs enregistré un plaidoyer de culpabilité pour ce manquement à l’éthique.
Dans une entrevue accordée au journal L’Oeil régional, le maire de Saint-Denis-sur-Richelieu, Jean-Marc Bousquet, mentionne que la Municipalité a cessé de faire des achats au commerce dès l’élection de Mme Labelle, à l’exception de l’essence pour les véhicules municipaux et les camions de pompiers pour des raisons de sécurité publique, de saine gestion des fonds publics ainsi que pour des considérations environnementales. Il reconnait les inconvénients que cette interdiction représente pour son village et pour d’autres.
Éviter les batailles juridiques
Pour Nicolas Turcotte, pas question d’aller se battre devant les tribunaux. « Je suis ingénieur et je siège au Comité d’inspection professionnelle de l’Ordre des ingénieurs. Avoir une tache à l’éthique sur mon dossier me ferait perdre des opportunités », mentionne-t-il.
Il comprend le contexte qui a mené au resserrement de la loi actuelle, après ce qui a été démontré en 2011 lors de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction («Commission Charbonneau»). « C’est très important. Toutefois, dans ce cas-ci, ça me semble aberrant. C’est une dépense d’argent public. En plus, les employés de la voirie ont déjà un horaire bien occupé », précise-t-il.
Pas de démission en vue
Nicolas Turcotte choisira-t-il de démissionner pour que la municipalité puisse à nouveau acheter ses produits à La Pôtinerie? « Ce n’est pas dans mes options. Monétairement, ça n’a pas d’impact sur mon entreprise. J’ose espérer que j’apporte davantage à la municipalité en tant que conseiller que le désagrément d’aller chercher de l’essence à Valcourt », expose-t-il.
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