Dans quelques jours, je donnerai un dernier coup de pédale. Non, je ne laisse pas le vélo, je continue, chaque semaine, de sillonner le territoire, de faire corps avec lui, d’en aimer chaque paysage. Ce dernier coup de pédale, ce sera celui que je donnerai le 21 juin au sortir de ma remise et qui, pour une dernière fois, m’amènera par la pente douce de la rue de La Rivière jusqu’à la porte de l’école de Racine. Pour marquer cette étape, j’ai écrit le texte qui suit et que je vous partage aujourd’hui. Merci à toutes ces familles de l’Estrie et du Val St-François que j’ai connues et qui m’ont fait confiance depuis le premier jour.
Merci aux enfants pour leur vérité.
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Rien n’est parfait. Rien ne coule comme un long fleuve tranquille. Si la vie et nos carrières étaient ainsi, lisses, on mourrait d’ennui. Il faut des entraves, des batailles, des retournements et des dénouements. Une histoire avec un début, un milieu et une fin. Et, là, ça devient intéressant, une quête qui veut dire quelque chose, une aventure qui a du sens… Tout ça pour dire que, dans quelques jours, je serai rendu à la toute fin du 3ième acte de ma carrière de 38 ans comme éducateur au préscolaire. Je serai devant le grand écran, juste après la disparition du mot fin au générique, dans ce moment de réflexion ou d’imprégnation face à tout ce qui vient de se passer. Une façon un peu cinématographique d’annoncer simplement que:
Dans deux semaines, je pars à la retraite!
Oui c’est simple, banal. Une autre retraite. Un autre long et riche chemin, parfois cahoteux, parfois lumineux, avec de longues et belles lignes droites, des paysages ombragés, des arbres tombés puis, à la fin, effacé. Comme une grande œuvre de sable emportée par la marée. Un long chemin de vie devenu une trace statistique. Cet effacement me fascine. Pas pour moi seulement, mais pour ces milliers d’aventures humaines terminées et oubliées. J’arrive à la fin de la mienne et je ne veux pas laisser passer ça si facilement. Nos carrières sont des histoires mais, aussi, ont une histoire.
J’ai cherché cette année une façon de parler de ce que fut mon travail auprès des enfants. Plus universellement, de l’importance du travail dans nos vies, de son sens au-delà de sa fonction rémunératrice. Ce sens est unique à chacun. Qu’est-ce qui t’as amené à ce travail? Quelle est ta quête? Que t’enseignent tes épreuves au travail? Quelles formes prennent tes réussites? Que sont tes craintes? Que sont tes forces? Pour ma part, je n’ai pas encore trouvé toutes les réponses à ces questions…
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Dans quelques jours, si le hasard y consent, je serai aussi au début du 3ième acte de ma vie. De cette autre grande aventure déjà bien garnie en surprises et rebondissements, je ne connais pas non plus tous les tenants et aboutissants. Mais je sais que je cherche et que j’aime chercher. Je connais donc ma quête, c’est celle du sens. Sans m’obliger à toujours le trouver, j’aimerais parfois, peut-être, en créer. Et je connais mon arme, c’est l’écriture. Une arme fragile, épuisée d’attendre, ébréchée par tant de coups mal portés, tremblante comme la main si incertaine qui la tient, apeurée par son heure arrivée. Je connais ma quête et mes armes, et toutes ces batailles souvent perdues. Je passe à la troisième partie de ma vie. À ses explications et ses dénouements. Je ne crains pas de m’ennuyer, je poursuis mon aventure. Je ne serai plus un éducateur, je serai juste moi qui ne se connais peut-être pas encore complètement. Pour commencer, j’espère être capable enfin d’écrire ce texte sincère sur toutes ces années de travail. Sur ce que m’ont apporté, dans ma vie, les enfants. Et pourquoi.
Je suis rendu là.
Nicolas Proulx, Racine
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