Le Val-Ouest

L’AVALÉ DU VAL – NOUVELLE CHRONIQUE

Le nouveau chemin

Il arrive aussi que se produise ce petit miracle: je traverse un paysage et c’est lui qui me reconnaît. Qui m’avale, me digère, me fait une place pour que j’en devienne un des éléments.

-Pierre Foglia

La vie ne se passe pas sur la terre, mais dans ma tête. La vie est dans ma tête et ma tête est dans la vie. Je suis englobante et englobée. Je suis l’avalée de l’avalé.

-Réjean Ducharme, l’Avalée des avalés

                                                         *

Je roule à vélo dans le Val St-François depuis 2013. J’ai parcouru des milliers de kilomètres sur ses routes, ses chemins, dans ses rangs et ses sentiers. Vous m’avez peut-être vu passer. Au début, mon vélo était noir comme la nuit, puis j’ai changé pour un autre plus sportif, bleu comme le ciel. Puis j’ai été fatigué. J’allais trop vite, trop fort. Mon vélo n’avait plus vraiment de couleur, un peu comme chaque chose où je posais mon regard. J’ai arrêté. Cette année, j’ai un nouveau vélo. Il est fort, beau et va partout. Il n’est pas lent, mais pas trop rapide non plus. Il est reposant. Avec lui, j’ai retrouvé les couleurs. Je roule encore fort, mais je vois mieux et suis un peu moins pressé. Surveillez-moi, je passe encore vite, mais je suis là, sur ma monture, sur mon vélo de couleur terre.

Je ne suis pas un local, ni d’une famille de par icitte. Je suis un déraciné qui, peu à peu, a pris…Racine.  Je n’ai pas tant connu ce territoire par ses gens. Je suis peut-être timide ou un peu misanthrope. Et, au fond, pas si friand des histoires de clocher. Au début, j’ai eu peur de paraître un peu snob, peut-être que c’est ce malaise que j’ai voulu cacher en fuyant sur les routes. Je me suis fait alors ami du paysage qui est devenu une sorte de refuge béni. Je me suis mis à l’aimer, le trouver si beau que ça faisait mal. Je ne sais pas trop comment exprimer ce sentiment de beauté, mais j’ai besoin d’essayer. Cette quête de dire vrai, au fond, est celle de se rapprocher des autres, de partager. Cette chronique, que j’entreprends aujourd’hui, est ma façon d’aller vers vous. C’est peut-être aussi ma façon de me sentir vraiment chez moi.

Je veux donc écrire. Je veux écrire sur les paysages autour de chez nous. Je veux écrire sur les courbes des chemins, les tournants courts et follement bucoliques ou les longues cambrures qui s’ouvrent sur de vastes plaines. Je veux écrire sur les côtes, ces amantes que j’ai mille fois conquises tel un donjuan des collines et où, sur chaque sommet, le flottement des drapeaux est le son de mon souffle mêlé à celui des battements de mon coeur. Je veux écrire sur les bêtes, petites, grosses, piquantes, volantes, féroces, mortes ou effoirées qui, à chaque sortie, me guident ou m’effraient comme autant de figures chamaniques. Je veux écrire sur la rugosité des rangs, la douceur des routes, sur cette baignoire-auge rose oubliée dans la coulée, sur les semailles et les récoltes, sur la couleur des champs et de la lumière, sur le changement des saisons. Je veux écrire sur le froid cassant de l’hiver, sur l’envol subit de la perdrix enfouie dans la neige, sur ce vieux chien fatigué qui suit son maître quand il entre dans l’étable pour se réchauffer.

Je prends, avec cette chronique, un nouveau chemin du Val. Un chemin sur lequel je n’ai jamais pédalé, ni senti la pente ou le revêtement, ni vu le paysage. Sera-t-il beau? Habité? Si oui par qui? Par quelles bêtes exactement? Est-ce un cul-de-sac, l’un de ces chemins confidentiels qu’on n’ose pas prendre pour ne pas déranger? Je n’hésite plus, je m’y engage! Je suis confiant. Je pense qu’il sera beau et qu’il débouchera.

Sur quoi?

Sur la beauté.

 

Nicolas Proulx

Racine, 6 juillet 2020 , vous pouvez aussi me lire sur mon blogue: La promesse du Nord)

 

 

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