Le Val-Ouest

L’Avalé du Val – Terres neuves

crédit photo Nicolas Proulx

Ma mère a déménagé à St-Hyacinthe après la mort de mon père.  Elle vit près de ma sœur.  Saint-Hyacinthe, c’est ailleurs, en dehors de mon monde.  Pourtant, j’y ai habité, il y a longtemps.  Un petit logement d’une pièce au centre-ville, en haut d’un bar, le temps d’un contrat comme moniteur auprès d’éducatrices en garderie qui accueillaient des enfants à besoins particuliers dans leur groupe.  Je devais avoir 25 ou 26 ans.  Pour ce travail, j’allais de garderie en garderie avec des idées simples pour aider à l’intégration de ces enfants.  Des enfants différents.  La femme qui avait bâti ce programme avait été la première personne, quelques années plus tôt, à me faire confiance comme éducateur dans la garderie qu’elle dirigeait.  Elle s’appelait Josette.  Je venais d’abandonner mes études en sciences pures, un matin d’examen.  J’y vais pas, je lâche!  J’ai le souvenir d’une décision subite, mais solide, puis le sentiment d’être libre et léger.  Ma sœur, avec qui j’habitais, avait eu une réaction plus lourde.  Qu’est-ce que tu vas faire pour payer le loyer?  Je venais d’avoir 19 ans.  Je n’avais plus de prêts et bourses.  Je me retrouvais sans rien ni personne.

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L'Info-Val

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J’ai skié au crépuscule aujourd’hui, frontale en poche.  La neige du jour a permis une glisse correcte, j’ai pu m’enfoncer dans le bois.  J’ai choisi l’heure.  Tu pars de clarté, tu reviens de noirceur.  Au milieu, c’est la soupe bleue.  Les limbes.  C’est propice à l’écriture.  L’écriture nous vient peut-être d’un endroit comme celui-là, entre deux mondes.  Deux mots me harcelaient, sonnant à chaque piqué de bâton : terres, neuves, terres, neuves, terres, neuves…  J’ai réalisé que c’étaient les terres que je traversais pour aller à Saint-Hyacinthe, les terres qui me séparaient de ma mère.

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Josette m’avait donc rappelé pour ce travail de moniteur, une sorte de projet de recherche et de développement du Cégep de Saint-Hyacinthe qui s’intitulait Ensemble pour une intégration possible et positive.  L’idée était de ne pas faire tout un plat avec les difficultés des enfants et d’adapter simplement nos activités pour les inclure, comme tous les autres.  On était tous là pour grandir et s’amuser.  J’apportais des jeux que j’avais inventés au cours de ma jeune expérience ou que j’improvisais sur place, à la vue d’un objet ou dans un flash quelconque.  J’annonçais le titre et ça coulait, c’était facile.  Le jeu des souliers fous, le jeu du papier transpercé, le jeu des étoiles dans le ciel, le jeu de l’élastique qui tombe dans un trou de serrure…  Ma banque était pleine, ça débordait, il s’en échappait, j’en oubliais, il s’en créait d’autres.  On jouait.  Tout le monde jouait.  Et si la différence, chez l’un ou l’autre, était de ne pas aimer jouer, on pouvait tous se mettre à jouer à ne pas aimer jouer.  Ça devenait une rigolade, un moment de famille et il n’y avait plus de différences ou juste des différences.  On était dans la vie.  J’étais conscient que mon rôle d’éducateur de passage facilitait la réussite de mes activités et que dans le quotidien, pour les éducatrices, c’était plus difficile.  Je ne voulais rien leur dire, rien leur conseiller, juste offrir un exemple et les inclure dans la ronde, sans faire un plat de tout ça.

Le soir, je retournais dans mon petit logement, j’écoutais des films, j’écrivais, je fumais des cigarettes, sans jamais sortir, sans connaître cette ville que je quittais chaque fin de semaine pour retrouver mes amis à Sherbrooke.  Parfois, j’entendais des cris, des drames dans les logements adjacents, c’étaient des étudiants de l’option Théâtre qui répétaient leur rôle.  J’ai le souvenir aussi, un soir, en sortant de ma voiture, d’être apostrophé par une femme.  T’as l’air fatigué, aurais-tu besoin de quelque chose?  J’avais hésité et décidé de décliner l’offre.

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La route, entre Saint-Hyacinthe et Racine, est une ligne droite.  Dès que le mont Valcourt est contourné, par le chemin Monty, je prends les 3e, 4e et 5e rangs, trois longs traits droits, à peine décalés, qui traversent la campagne des Roxton, m’amène à la 137 puis directement au foyer de personnes âgées de ma mère.  Un long fil gris.  Une traversée terne sur des terres plates et sans mémoire.  Mais, peu à peu, à force d’allers et de retours, la route prend vie, fait son histoire.  Le fil se gonfle, rougit. Un cordon se reforme.

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T’as un don mon garçon!

J’étais allé la visiter dans la maison de Lebeau avec qui elle avait aménagé quelques temps après la séparation. Je venais d’être engagé comme éducateur, ma première vraie job steady. J’étais fier de moi, de m’être débrouillé pour gagner ma vie. Je lui racontais mes journées avec les enfants, le bonheur que j’éprouvais, combien ça me nourrissait.  Je me sentais compétent.  Josette avait vu quelque chose.  Ma mère, de son regard de braise, m’écoutait en se berçant, crochet à la main.  Puis, à la moindre évocation d’une parole ou d’un comportement d’enfant, elle pouffait de rire, un rire heureux et profond, plus complice qu’émerveillé. Elle se projetait dans la scène.  Elle était avec l’enfant.  Elle était l’enfant.

À cette époque, elle m’écrivait de belles lettres douces et aimantes, elle me trouvait grand.  J’ai le souvenir d’un temps où elle flottait, elle ne tenait que par un fil.

De mon côté, je tendais la main aux enfants qui y enfouissaient la leur.  Ou était-ce l’inverse?  Enfin…

Je me tenais debout.

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Il y a une grande fenêtre dans son logement d’une pièce.  Elle trouve qu’il y a bien des camions qui passent sur sa rue.  Elle peut voir l’un des ponts de cette ville qui lui est étrangère.  Elle n’a pas de repères.  Les clochers ne lui disent rien.  Elle voit juste des camions.  Quand j’arrive, je me stationne dans la cour de l’église et je l’appelle.  Elle répond et s’amène à la fenêtre, je la vois et fais flasher mes lumières.  On s’envoie la main.  Monte, je t’attends.  Je m’assois sur la berçante et on parle.  Cette semaine, elle m’a raconté un rêve.  Un long rêve d’enfance.  Très doux.  Elle m’a lu des extraits de Femme forêt, le livre d’Anaïs Barbeau-Lavalette.  C’était beau.  Elle a repris sa tâche de recouvrir avec du papier brun son livre de prières quotidiennes, usé à la corde. C’était long et tremblant.  Ça t’énarve ça, ce que je suis en train de faire là?!  Puis on est allés marcher.  Super tranquillement.  Elle m’a amené aux fagots de petites branches qu’elle forme quand elle va marcher autour du grand terrain.  Elle m’a montré comment elle fait en soulevant avec sa canne une branche pour la sortir de la neige et l’amener à bonne hauteur pour, se penchant un peu, la prendre et la poser dans un tas.  J’aime assez ça faire ça!  Elle m’a accompagné jusqu’à mon auto, on n’a pas pu se serrer dans nos bras.  Elle a pris la petite trail tapée qui se rend jusqu’à son entrée. J’ai pris la rue St-Pierre, tourné sur Saint-Louis et filé tout droit jusqu’à Racine à travers mon nouveau territoire.

Crédit photo Nicolas Proulx

Lire la chronique précédente : L’Avalé du Val – Des âmes dans un IGA

Un avis au sujet de « L’Avalé du Val – Terres neuves »

  1. Bon jour Val et merci Nicolas pour tes capsules de vie si bien écrites et racontées. J’y fait un parallèle de cheminement entre l’accompagnement d’une proche, les routes empruntées et nos territoires extérieurs et intérieurs. Merci de partager tes expériences et au plaisir de se rencontrer sur notre territoire d’entre Racine et Valcourt, sur nos skis et heureux.

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