Le Val-Ouest

L’Avalé du Val – Vingt-trois kilomètres

Février nous arrive comme une boule de ouate qui vient couvrir les poignards de janvier.  Ça me désaligne, ça m’éparpille.  Ça m’embranche au lieu de m’adoucir.  Pas capable de choisir le silence.  Pas capable de choisir la musique.  Pris dans les fibres.  Chaque pensée devient une direction, un lien vers une autre idée reliée à pas grand-chose.  Je suis pogné dans un réseau neuronal sans plan.  Ça craint.  Ça griche.  Ça grince.

Honnêtement, ce n’est pas tant la douceur arrivée de février qui me désorganise, que la descente d’une grosse bulle blanche venue, depuis quelques jours, absorber mon esprit et court-circuiter ma créativité.   Une seule grosse affaire existe et vient capturer mon quotidien.   Je ne pense qu’à ça, ne parle que de ça, n’ai envie d’écrire qu’à propos de ça.  Le problème est que cette chose est dangereusement anecdotique.  J’ai beau essayer d’y donner une dimension poétique, un sens dans ma démarche d’écriture, elle demeure pitoyablement banale.  Tout arrive à tout le monde.  Les événements de nos vies n’ont d’importance que pour nous-même.  Il faut partir avec ça quand on écrit.  Se démerder avec ça.

L'Info-Val

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Qu’est-cé que ça peut ben être son affaire?

***

Samedi, je suis allé reconduire ma mère à Nicolet dans ma vieille Toyota pas très propre.  Ça l’achale un peu, ma mère, mon vieux char.  Elle a beau dire que non, je sais, par exemple, que la craque qui court de bord en bord sur mon pare-brise la fatigue.  Elle m’en parle à chaque fois, l’air de rien, avec sa petite voix faussement ironique – la voix de Fernande, sa mère.

Ça, mon p’tit gars, ces réparations-là, une fois faites, c’est là qu’on se rend compte de comment a nous achalait cette craque-là…  

Je sais qu’elle a raison (et ça me fait chier!), mais je me permets encore, tendrement, d’être son adolescent rebelle, je me permets même de répliquer avec cette même ironie à multiples degrés, cet humour qui coule dans les veines de tous les membres de cette grande et pôôvre famille.

Moi m’man, j’ai décidé de vieillir en sans allure.  Ça use sans bon sens ça, l’allure.

Elle a ri.  Ce rire de quand elle reconnaît, dans la réplique, la voix de son père ou d’un de ses frères.  Ce rire du passé.  Ce rire que j’ai entendu toute mon enfance et que j’entends encore chez mes tantes et mes oncles de son bord.  Elle n’a rien dit, mais elle aurait pu ajouter :

Je te comprends tellement, ton grand-père Jérome était pareil.  Y disait tout le temps qu’il n’en pouvait plus d’être smatte. Y’en ai mort, d’être trop smatte, ton grand-père.

On s’est rendus à Nicolet en parlant d’autres choses, en oubliant la craque dans mon pare-brise.  Pis à part de ça, je l’aime ma craque, elle s’allonge un peu plus chaque hiver en tournant vers le bas, prenant la forme d’une côte ou d’un sentier.

D’une trail.

Y va-t-y finir par le dire qu’est-cé qui y’é t’arrivé?

***

Hubert nous fixait de son regard brûlant et poursuivait de sa voix rocailleuse, sa gorge roulait le r, sa bouche tordait le mot.

Le personnage! 

Ça nous pénétrait.

Son sourire devenait agressif, son enseignement, volcanique.

Le personnage!

En un seul mot sorti tout droit de ses tripes, mon vieux prof de cinéma me faisait comprendre que les effets, le ton, le rythme, la musicalité, le drame…  Tout ça n’est que du divertissement s’il n’y a personne en qui se projeter, avec qui aimer, douter, espérer; s’il n’y a personne en qui reconnaître sa peur de souffrir et sa peur de mourir.

Pour Hubert, l’enseignement était un don de soi.  Il a été mon maître.  Je pense encore et toujours à lui quand j’écris.  Je l’entends me crier : Non! C’est pas ça!  Son intensité, cette rage brûlante en lui, demeure en moi.  Il m’a révélé ma quête.

Mon feu.

Ok, mais on va-tu finir par le savoir, là, la grosse bulle pas intéressante du début?

***

J’ai skié 23 km dimanche.  J’ai fait deux fois la grande virée en passant par la Maurice au premier tour, par la Fontenoise au deuxième.  Je me suis testé pour ce qui me tombe dessus, la grosse affaire que je laisse planer depuis le début.  Au fil de l’écriture et des kilomètres, mon excitation s’est calmée, des lignes sont apparues, des traces sont restées; je m’organise, je sais un peu plus sur quel territoire j’évolue.

J’ai skié 23 km pour m’entraîner parce que j’ai décidé de m’inscrire à un demi-marathon de 45 km de ski de fond en une seule sortie dans le cadre de l’évènement du Marathon Canadien de Ski dans sa forme « virtuelle ».  Au lieu de se rendre en Outaouais pour skier des longues distances, on peut le faire dans ses terres, au moment que l’on veut.  C’est ça, l’événement qui prend toute mon attention.  Sans plus.  C’est une distance ben ordinaire, parcourue facilement par des milliers de crinqués du ski, mais, à mon niveau de préparation (j’ai du ski dans les bras et les pattes cet hiver, mais pas beaucoup de longues distances), avec une vingtaine de livres en trop, ça va être solide.  J’en suis apeuré, agité, mais absolument joyeux.

J’ai skié 23 km dimanche.  Rendu au soir, l’endorphine aidant, je me sentais si bien, si fier, si heureux de trouver dans une piste, tout près de chez moi, le pays où être heureux, le territoire où j’appartiens.  Le bonheur si proche et si simple.  J’ai pensé à mon 45 km à venir (quatre fois la Grande virée); j’ai pensé que j’allais écrire une chronique complète sur mon expérience, j’ai pensé que je ne voulais pas écrire juste pour divertir, pas juste des choses qui ont de l’allure, pas juste pour la devanture, que je voulais aller plus loin, suivre ma ligne courbe comme celle sur mon pare-brise.  J’ai pensé à Ferrat qui chantait : je ne chante pas pour pas passer le temps.  J’ai pensé que le sport est une drogue que tout le monde devrait essayer.  J’ai ri.  J’ai pensé que j’étais prêt à mourir.  J’ai ri encore, la dose était forte.  J’ai pensé que je pourrais ne jamais finir mon 45 km et mourir, debout, en pleine forêt, la nuit, à moins trente degrés.  Comme Ferrat.

Je voudrais mourir debout, dans un champ, au soleil…

crédit photo Nicolas Proulx

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