Le droit à l’alimentation
Comment en sommes-nous rendus là ? Nous produisons plus, nous consommons plus, nous gaspillons plus et, il faut le savoir, il y a de plus en plus de citoyens en insécurité alimentaire. En 2018, plusieurs organismes, dont le Regroupement des cuisines collectives du Québec, ont incité le gouvernement provincial à revoir sa position sur le droit alimentaire. N’ayant pas de réponse, ce mouvement en est venu à rechercher des actions plus efficaces.
Nous l’avons peut-être oublié, mais le droit à l’alimentation fait partie des droits fondamentaux de la personne, comme le droit de liberté, de parole, de mouvement, tous inscrits dans une série d’instruments de droit international, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948 par l’Assemblée générale de l’ONU. Ce droit à l’alimentation est plus précisément défini dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, document issu de l’ONU et signé par le Canada en 1976. Ce droit à l’alimentation fait partie de divers instruments de défense des droits de la personne (article 11 pour l’alimentation) que le Canada à l’obligation légale de respecter, protéger et réaliser.
Mais il ne l’a jamais respectée. Aujourd’hui, plus de quatre millions de Canadiens vivent l’insécurité alimentaire et le Québec en fait bel et bien partie. Les statistiques nous disent que dans ce beau grand pays, un enfant sur six ne mange pas à sa faim. Le Canada se situe au 37e rang sur 41, en ce qui concerne l’accès pour les enfants à une saine alimentation et il est le seul du G-7 à ne pas avoir de programme universel de saine alimentation scolaire, garantissant ainsi que tous les enfants ont la même chance de développement.
Ce droit est ignoré. Et pourtant, on peut demander à une personne de rester chez elle pendant deux mois ; mais peut-on lui demander de rester chez elle confinée pendant deux mois, sans nourriture ? On peut bien être libre, on peut bien parler à tout vent, mais pas longtemps le ventre vide. Pour avoir vécu des réactions de clients impatients quand je travaillais en cuisine, je me dis que notre tolérance s’affaiblit face à notre estomac vide. Lors de mes voyages, j’ai aussi vu la faim ainsi que ses dommages sur l’humain.
Et si nous gaspillons la nourriture, c’est que nous vivons dans un sentiment du toujours accessible. Depuis les années 50, nous sommes en surproduction de nourriture. Maintenant, nous jetons environ 1 100 $ par an de nourriture pour une famille de quatre personnes. Cela signifie qu’il y a une épicerie d’une centaine de dollars de trop dans le mois, 100 $ de pollution, en plus des semences jetées, des litres de fuel utilisés, ou 100 $ pour l’achat local et bio. Et tout ça car le choix de jeter a dépassé notre gros bon sens. Aujourd’hui, je dépense beaucoup moins en modifiant mes habitudes.
Le droit à l’alimentation devrait normalement se trouver au premier rang dans La Charte des droits et libertés, ou du moins être mentionné. Il n’y figure pas. Si par exemple, le droit à la justice n’y était pas inscrit, aurions-nous une instance indépendante du politique garantissant un certain respect pour cela ?
Comment protéger nos terres, sans le respect de ce droit ?
Les politiciens ont laissé entièrement au privé la gestion de notre première subsistance car ils n’ont jamais respecté notre droit à la sécurité alimentaire.
Nous aussi, nous devrions respecter un peu plus ce droit et se dire que si nous avons eu des craintes au début de la crise de la COVID-19, c’est que nous avons peut-être pris plus conscience de la fragilité de notre monde et notre accès aux aliments.
Quand le virus a fait son apparition dans les quelques gros abattoirs restants, peu nombreux, cela a posé un problème pour la chaîne d’approvisionnement ; là aussi, il reste peu de concurrence entre les bannières. Cela se répercute à la caisse. Sans droit, comment faire respecter un juste prix et éviter les spéculations mondiales? Pendant la crise économique de 2008, les compagnies ont fait d’immenses profits là-dessus. Nos salaires n’augmentent pas aussi vite.
Nous pourrions aussi parler de l’accès aux semences qui repose sur un nombre restreint de producteurs…
Je ne peux pas en vouloir aux politiciens de n’avoir rien fait. Je ne peux pas en vouloir aux industriels d’avoir voulu faire de l’argent. On ne peut pas s’en vouloir à nous aussi, c’était la tendance.
À suivre…
Jean-Daniel Mary, Chargé de projet en sécurité alimentaire,
Centres d’action bénévole du Val-Saint-François Valcourt, Windsor et Les Tabliers en folie