À la fenêtre, les flocons un peu lourdauds d’une neige printanière virevoltent paresseusement, poussés par un vent qui ne semble pas trop savoir quelle direction emprunter. Bordée typique de mars. Sur la vitre, la douceur du temps a vite raison des cristaux de neige. Ce sont plutôt des gouttelettes d’eau qui s’accumulent formant ici et là de minces filets d’eau qui coulent comme les larmes d’un hiver qui ne se résoudrait pas à partir.
Ma douce a sorti les géraniums de leur dormance et empoté les graines de tournesol. Les oies, les canes et les poules ont recommencé à pondre. Les jars, les coqs et les canards s’énervent. Le coup d’envoi est donné, le printemps est définitivement là. Le grand cycle de la vie !
Au temps de ma petite enfance, j’associais les lapins en chocolat, la volée des cloches de Pâques et mon tricycle à l’arrivée du printemps. Un peu plus tard, ce sont les trottinettes, les « béciks » et le temps doux qui sont devenus symboles de la fin de l’hiver. Quant à l’arrivée de l’été, elle n’aurait su m’échapper tellement elle était étroitement associée au début des vacances scolaires et au départ vers le chalet. Nous étions tellement occupés par nos jeux et nos chicanes d’enfants que nous ne voyions passer ni les coups de soleil ni les vacances.
L’automne était la saison de la scolarisation, davantage que l’hiver parce qu’il y avait le changement de niveau, de groupe et d’enseignant. Un frère des écoles chrétiennes le plus souvent. De quoi tenir occupé, voire préoccupé à l’occasion. Une saison qui dans mes souvenirs d’enfance était un peu terne, sans éclat. La nuit tombait, à peine rentré de l’école si bien que les périodes de jeux à l’extérieur étaient limitées aux fins de semaine. Mises à part, la collecte des bonbons de l’Halloween, et l’agitation entourant les préparatifs du temps des Fêtes, il fallait attendre les vacances de Noël pour retrouver l’excitation et les plaisirs des retrouvailles avec la famille élargie.
L’hiver avait le grand mérite de nous sortir de cette relative torpeur automnale. Les examens de fin d’année ? Encore trop loin pour s’en inquiéter ! Les journées d’école étaient bien installées dans la routine. Les exigences et caprices de l’enseignant étaient connus et les amis bien identifiés tout comme ceux dont il fallait se méfier. La nature retrouvait cet unique éclat de lumière, reflet de l’éblouissante blancheur de la neige. Le plaisir de jouer dehors refaisait surface à telle enseigne qu’il fallait aux parents surveiller de près la marmaille pour éviter les engelures. Dans l’ardeur du jeu, il nous arrivait de ne plus ressentir le froid. Les douleurs du dégel des oreilles, des doigts et des orteils n’arrivaient pas à nous détourner des joies de la glisse en traîne sauvage, des combats de balles de neige et de la construction de forts aussi inefficaces qu’éphémères, sans parler des bonhommes de neige.
Je constate aujourd’hui à quel point les coupures entre les saisons de mon enfance étaient marquées. Chacune avait sa signature et chacune transformait littéralement ma vie, le temps d’une saison. Je subissais ces mues saisonnières sans trop m’en rendre compte. Il en a été de même jusqu’à la grande mue de mon adolescence. J’étais alors trop occupé à faire de moi un adulte pour m’attarder à observer le passage du temps. Je prenais conscience que j’avais devant moi toute une vie à saisir.
La vie adulte, avec les routines du travail et de la famille, est venue passer le rouleau compresseur sur les aspérités du passage des saisons. D’un millésime à l’autre, les années se sont faites de plus en plus courtes dans ma tête me donnant faussement l’impression qu’emboîtant le pas aux saisons, elles passaient de plus en plus vite. Alors je m’efforce d’en saisir au mieux les ravissements qui, sans être ceux de l’enfance, sont toujours porteurs d’espoir. Je regarderai sortir la première jonquille, vite suivie de ses innombrables sœurs refusant de céder la place à cette pionnière. Je surveillerai les majestueux iris qui les suivront de près dans les plates-bandes. Je devrai toutefois attendre encore quelques jours, voire quelques semaines, avant d’aller tout au bout de la prairie m’assurer que, dans sa partie marécageuse, les iris versicolores auront tenu promesse et seront toujours là pour me surprendre.
Plus prosaïquement, il me faudra bien effacer les traces laissées par l’hiver. Ranger les pelles, ramener l’eau au potager, sortir les chaises de jardin et j’en passe. D’ailleurs, juste à y penser, je suis déjà épuisé. À titre préventif, histoire de rêver aux plaisirs à venir et de bien m’assurer que je serai d’attaque le moment venu, je vais de ce pas me servir un petit apéro. Juste un, et petit encore, à la santé de la vie qui renait !
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