« As-tu des projets de voyage? » est une des questions que je me suis (bizarrement) fait poser à maintes reprises pendant la pandémie. Chaque fois, la réponse était la même : non. Et chaque fois, je me demandais si cette personne et moi nous vivions sur la même planète, parce que peu importe notre opinion sur la pandémie, les vaccins et tout le tralala, nous avons tous eu à nous adapter aux mêmes mesures, ici au Québec : confinement, couvre-feu, risque d’amende, fermeture des frontières, interdiction de voyager, etc. L’arrivée du vaccin a un peu assoupli les règles… pour les vaccinés. Dans mon cas, étant non vacciné, il m’a été interdit de quitter le pays jusqu’à cet été (2022). Mais cette interdiction de voyage, la plupart des gens l’ignoraient, pensant que la vie était (presque) revenue à la normale.
La pandémie nous a tous chamboulés, à différents niveaux. Elle m’a invitée à m’adapter et à trouver un rythme nouveau, un rythme d’ici, aux couleurs des quatre saisons, plus simple. J’ai vu ma relation avec mes chats s’approfondir comme jamais et j’ai accepté que mes fins de semaine soient parfois « ordinaires » vu l’étalement des zones orange, puis rouges. Un peu comme un automne coloré qui n’en finissait plus de finir.
C’était bien la première fois que je souhaitais voir les couleurs tomber.
Pendant deux ans j’ai tenté d’endormir la voyageuse en moi en lui faisant croire que c’était pour le mieux. Je l’ai bercée en lui racontant que c’était plus sain pour la planète, que déjà elle avait été bien gâtée en aventures, et que c’était aussi une belle vie, que celle de s’établir.
Parfois, cette femme nomade en moi se réveillait et réclamait d’exister. Elle me ramenait en mémoire des amis rencontrés en Asie, des randonnées vécues en Amérique du Sud, des soirées dansées en Europe, de la nourriture dégustée en Afrique.
Au souvenir de ces centaines d’anecdotes de mes voyages passés, je vivais un deuil qu’il m’était impossible de boucler.
Puis, vers la mi-septembre 2022, des rumeurs ont commencé à circuler, affirmant que peut-être toutes les mesures tomberaient prochainement. Je n’osais pas y croire. En fait, j’avais tellement bien entretenu ma carapace d’indifférence que j’ai à peine réagi. J’ai dit « Yéééééé » pour la forme aux amis qui me partageaient la nouvelle, mais à l’intérieur je ne sentais rien. J’étais sous anesthésie.
- Le 1er octobre, je suis allée fureter sur le site du gouvernement du Canada, juste pour voir si les rumeurs disaient vrai. Et là, noir sur blanc, c’était écrit :
- Une preuve de vaccination contre la COVID-19 n’est plus exigée
- Les tests de dépistage de la COVID-19 préalables à l’entrée et à l’arrivée ne sont plus exigés
- La quarantaine après votre entrée au Canada n’est plus exigée
- L’utilisation d’ArriveCAN n’est plus exigée
- Les tests de dépistage préalables à l’embarquement pour les passagers de croisières ne sont plus exigés
- Comme toujours, les documents de voyage sont requis
- Les vérifications de l’état de santé pour monter à bord d’avions et de trains ne sont plus exigées
- Le port du masque dans les avions et les trains n’est plus exigé
J’ai ressenti quelque chose se relâcher en moi. Quelque chose qui s’était retenu de respirer depuis longtemps. J’étais maintenant LIBRE de voyager? Le clic suivant me guidait sur un site de billets d’avion.
Alors que je regardais les différentes options, des tonnes de drapeaux rouges se sont dressées dans ma tête :
- Pour combien d’heures d’escale devrais-je opter, vu tous les retards de vols?
- Est-ce que j’aurai des problèmes avec mes bagages?
Comment vais-je me rendre à l’aéroport, et en revenir à mon retour? Il me semble que c’était tellement facile dans mon ancienne vie… Je faisais comment, déjà? Est-ce que l’assurance voyage de ma carte de crédit est suffisante? Tout a dû changer, depuis le temps… Qui s’occupera de mes chats? Ils vont tellement se sentir abandonnés… Est-ce que je vais gâcher ce qu’on a réussi à développer comme relation si je pars à nouveau? Combien de jours de travail suis-je prête à manquer? C’est quand même à mon salaire que je renonce volontairement…!
J’ai respiré, me rappelant que j’allais traverser le pont une fois à la rivière. Je me suis calmée, puis j’ai cliqué sur « Choisir ce vol ». C’est alors qu’on m’a proposé des assurances, des en-cas-que-ça-va-mal-et-que-tu-rates-ton-vol-ou-ta-correspondance, tout ça accompagné d’une phrase choc : « 1 vol sur 4 est annulé. Ne risquez pas et procurez-vous bla bla bla ». L’anxiété a remonté en flèche. J’étais terrorisée.
Ce petit arrêt forcé de deux ans semblait m’avoir volé le courage d’oser. Cette forte expérience d’angoisse dans mon corps m’a aidé à me mettre dans la peau des gens que je rencontre dans mes conférences, en coaching privé ou que j’accompagne à l’étranger. Tout d’un coup, j’ai compris ceux qui optent pour des voyages organisés, ou qui demandent à quelqu’un de tout planifier à leur place. Meilleurs billets possibles, quoi apporter, où loger, acheter des devises étrangères, se procurer des assurances… Ça en fait, des choses à penser!! Mais comment ils font, les gens qui voyagent? Je me suis ressaisie en me rappelant que je voyage depuis longtemps, et que normalement j’adore ça !
J’ai mis mon ordinateur de côté et j’ai pris le temps de respirer. J’ai fermé les yeux puis me suis visualisé en voyage : j’atterris dans un aéroport étranger, puis je trouve mon chemin, je prends un taxi, je me rends à l’auberge. Je dors dans un lit superposé et c’est OK, c’est même confortable dans certains cas. Je suis au Maroc, en Afrique du Sud, en Israël, en Argentine, et je trouve mes repères. Je suis heureuse. Je me sens enracinée, libre, au bon endroit. Suite à cette visualisation, l’anxiété a descendu. Ouf, quel soulagement!
Deux jours plus tard, je suis retourné sur le site d’achat et j’ai fait la transaction jusqu’au bout. Ça y est, je pars en novembre, dans juste un peu plus d’un mois. Je devrais me réjouir, non? À ma grande surprise, cette transaction m’a immédiatement plongée dans le silence. Je n’avais envie de partager la nouvelle à personne, j’étais prise dans un mutisme sourd, puis un fort besoin de pleurer est monté. Pas des pleurs de joie, non; plutôt des pleurs de stress!
Je ne comprenais pas tout ce qui se passait en moi, mais ce que je savais, c’est que la pandémie m’avait profondément affectée. Comme vous tous, ces mois de confinement m’ont fait vivre de grands deuils, des déceptions et des traumatismes. J’ai été forcée de m’adapter et j’ai traversé ce que je nomme une autre «déconversion» (ma dernière ayant été en 2011. Pour plus de détails, procurez-vous mon livre en cliquant ici).
Alors que les jours passaient, l’angoisse a cédé la place à l’anticipation positive. J’ai commencé à être capable de me visualiser dans l’aventure à venir et cela me faisait sourire. J’ai touché le gout de partager à mes proches ce que je nomme comme une « grande nouvelle ».
Je crois que l’un des facteurs aidants pour moi pour ce premier voyage postpandémie, c’est que le vol m’amène directement jusque dans le bon pays (j’ai quand même une correspondance dans le pays, mais rendue là c’est quand même moins stressant).
- Je retourne dans un endroit où j’ai passé de nombreux mois, et je peux facilement m’y visualiser.
- J’ai contacté des amis sur place, que j’ai très hâte de retrouver.
- Je salive déjà à l’idée de manger à nouveau des plats de la place, des mets que j’ai adorés.
- Je n’ai aucun objectif touristique pour ce voyage; j’ai juste envie de me poser et de me réhabituer tranquillement à tout ce que quitter mon chez-moi implique.
Aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, j’ai l’impression de renaitre.
Je vibre de gratitude à l’idée de pouvoir vivre ma passion pour le voyage à nouveau. Je ne peux pas affirmer que ma vie est revenue à la normale, du moins pas encore. La crainte que les frontières ferment soudainement ou que nos gouvernements nous fassent peur avec une autre catastrophe est toujours là. Mais pour le moment, je vais tenter de profiter de cette liberté retrouvée autant que je peux.
Et bientôt, j’espère vous inviter à venir en voyage avec moi
Lire la chronique précédente : Mélanie Gagné présente Danville – partie 2