Le Val-Ouest

Les petits fruits disparus de ma mère (première partie)

La vie à la campagne

Petit, j’ai grandi sur une ferme, au fond d’un rang, dans un pays reconnu pour sa bouffe, comme on dit. À l’époque, nous les enfants d’agriculteurs, on nous appelait les culs-terreux. On arrivait à l’école peut être avec une odeur de vache, peut être avec un peu de terre sous nos chaussures, nous étions pauvres, donc mal vus.

Voilà mon souvenir de comment la profession de mes parents était reconnue par la société. Et pourtant, ils produisaient du lait, des aliments qui servaient à cuisiner cette bonne bouffe. De nos jours, je sais que cela a un peu changé. Malgré tout, je m’estime chanceux d’avoir eu l’occasion de grandir sur une terre : j’avais une terre comme terrain de jeux.

Des champs pour les cerfs-volants, des forêts pour les cabanes, plein d’animaux, des vaches bien sûr, des poules, poulets de grains, lapins, une tourterelle, un hamster, des chats, un lac avec des poissons, un chien, un gros jardin, pas de voisin, une grange, en gros : La Ferme à Maturin. Sans m’en apercevoir, j’y ai appris une tonne de choses. Je m’estime chanceux d’avoir eu aussi un grand-père à la retraite de son métier de cultivateur, ayant cultivé de grandes parcelles, tel que de grands jardins. Il avait le temps de tout me montrer. Par exemple, comment fabriquer une flûte avec une tige d’herbe de fourrage.

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À la saison des récoltes, les fermes qui étaient encore nombreuses s’organisaient ensemble en regroupement d’entraide, les hommes travaillaient ensemble. Il y avait encore des haies où on trouvait toutes sortes de fruits sauvages dont ma mère raffolait, comme cette sorte de petites poires que j’ai eu la chance de goûter, une fois dans ma vie.

Et ça vite changé

La population a explosé après la seconde guerre mondiale et pour arriver à nourrir toutes ces personnes, le monde agricole a eu comme mandat de produire pour écarter à jamais la faim. Je me souviens des paroles de mon père, très impliqué dans le monde agricole et fier de participer à ce grand mouvement pour écarter à jamais la faim.

Très tôt, dès les années 50, ils ont réussi. Les États-Unis par exemple, faisaient déjà face à des surplus agricoles et continuaient à vouloir produire encore plus, afin de nourrir en abondance sa population et aussi exporter dans le monde. Le phénomène de l’obésité chez nos voisins n’est pas nouveau.

Les agriculteurs ont acheté de gros tracteurs pour devenir encore plus rentables, et par le fait même, ne plus avoir besoin d’entraide. Ils ont tous suivi la tendance et ils sont tous aujourd’hui disparus, comme les petits fruits des haies de ma mère qu’elle mangeait au retour de l’école à pied. Suite au remembrement, qui consistait à réunir en domaine agricole les parcelles de terre morcelées, les agriculteurs ont fini par raser les haies de fruits. Aujourd’hui, le monde agricole reste maintenant seul socialement et l’eau du puits de la ferme de mon enfance est devenue impropre à la consommation, à cause du surplus de fumier, généré par la surproduction.

En gros, il a fallu 50 ans, mon âge, pour finir de faire disparaître tout un monde. Toute une population s’est dirigée vers les villes, où aujourd’hui tous les citadins de ce monde vivent là où il n’y a pas de terre. La majorité loge dans des appartements, parfois sans balcon. Des villes entièrement dépendantes des autres pour s’alimenter, de ceux qui ont de la terre sous leurs chaussures. Et il n’y pas beaucoup plus d’agriculteurs ; seulement 2% des ruraux possèdent l’expertise pour produire, les seuls qui ont la volonté pour le faire.

Cela fait peu de professionnels capables de nous nourrir. Avant la crise de la COVID-19 et encore maintenant, ils décident d’une façon ou d’une autre d’y renoncer, submergés par les dettes. Je l’ai vécu, je le sais, nous étions pauvres. De nos jours, la détresse des agriculteurs  est un phénomène connu, documenté et filmé. Quant à moi, à 15 ans, j’ai perdu mon père suite à un cancer. Ma mère et mon frère ont continué avec les dettes et une ferme à repartir de zéro. J’avais de mon côté commencé à travailler et j’allais les aider dès que je le pouvais.

Une vie dans la soupe

À ma demande, j’ai fait mon premier stage l’été de mes 10 ans, dans la boulangerie qui venait nous livrer ses gros pains de 3 livres. Par la suite, j’ai étudié en pâtisserie, cuisine et gestion de cuisine d’établissement entre autres. J’ai travaillé pendant 35 ans dans le milieu de l’alimentation, dans deux continents et trois pays. J’ai constaté avec les années qu’il n’y a plus beaucoup de cuisiniers. À titre d’exemple, au printemps 2018, nous étions trois chefs cuisiniers à travailler chez ECOPACK en tant que journaliers. Démotivé du milieu, j’ai voulu donner un aspect plus social et engagé à ma vie. Je suis donc arrivé, il y a 8 mois, au Centre d’action bénévole de Valcourt et Région, comme chargé de projet en sécurité alimentaire.

(à suivre …)

Jean-Daniel Mary

Chargé de projet en sécurité alimentaire,

Centres d’action bénévole du Val-Saint–François Valcourt, Windsor et Les Tabliers en folie

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