Le Val-Ouest

Les travaux et les jours

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Comme à chaque automne, Réjean a fait les foins une dernière fois. Comme à tous les jours, il a fait le train du matin et celui du soir. Il faut bien nourrir les bêtes, ces bêtes gagne-pain, ces bêtes nourricières. Depuis quarante ans, je suis témoin de ces rituels auxquels j’ai participé à plusieurs reprises. J’ai maintenant l’excuse de l’âge pour me camper dans le rôle d’observateur.

J’aimais bien ces journées passées à engranger en prévision de l’hiver. C’était un peu la fête malgré l’exigence de la tâche. Chacun avait le sentiment de faire œuvre nécessaire dans un climat bon enfant. Il y régnait une sorte de paix, aussi bien intérieure qu’extérieure, malgré les surprises que nous réservait dame nature. Les travaux et les jours rythmaient le quotidien sans qu’on se préoccupe trop du sort le plus souvent inconnu des peuples du monde et encore moins du sort de la planète. Ignorance cachée ou réelle, la survie des uns et des autres tenait suffisamment occupé pour qu’on ne cherche pas plus loin. Ce qui, il importe de le reconnaitre, n’a pas empêché les guerres les plus meurtrières de l’humanité. Mais c‘est là une autre histoire.

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Le remisage de la faucheuse, de la faneuse, du râteau, de la « baileuse », de l’enrobeuse et des remorques à foin donne le signal de passer aux préparatifs d’hiver. Je n’aurai l’esprit tranquille que lorsque tout sera vidangé, rangé, remisé, protégé, que les pelles et grattoirs seront sortis, que les piquets délimitant les surfaces à déneiger seront plantés et que le double vitrage aura remplacé la moustiquaire des doubles portes. Eh oui, j’ai encore de ces vieilles doubles portes de bois dont je n’arrive pas à me défaire. Je cède encore à leur charme suranné malgré le prix qu’il me faut payer pour en remplacer le coupe-froid aux quatre à cinq ans sans compter la rotation semi-annuelle vitrage > moustiquaire, moustiquaire > vitrage !

J’ai de ces vieux attachements. J’ai toutefois renoncé pour les fenêtres, non sans hésitation. Parce que j’ai connu l’époque où il nous fallait faire la rotation châssis doubles > jalousies, jalousies > châssis doubles pour les huit fenêtres du logement, fois quatre, parce que chaque fenêtre était divisée en quatre sections. Un grand total de trente-deux morceaux que dans le meilleur des cas il nous fallait simplement laver, mais que nous devions aussi réparer et peinturer au besoin.

Si je ne sais pas bien où nous trouvions le temps pour cette répétitive besogne, je sais mieux où nous trouvions l’énergie. Selon la saison, nous décrétions la journée des jalousies ou la journée des châssis doubles. Les quatre membres de la petite famille étaient alors obligatoirement mis à contribution. Mais comme il nous fallait choisir une journée de beau temps, s’installait une ambiance quasi festive et si la productivité des enfants pouvait parfois laisser à désirer, ils tenaient bon. Il arrive que de l’obligation émerge une forme de solidarité et sans doute le rituel était-il perçu comme aussi inévitable que le changement des saisons. Du plaisir d’accueillir l’été, nous passions à la satisfaction de nous mettre à l’abri du froid l’automne venu.

La révolution technologique aidant, le poids des changements saisonniers s’est beaucoup allégé tout comme celui de l’effort à fournir pour assurer notre subsistance.  La curiosité, le besoin de comprendre, la quête inlassable de connaissances, sans oublier l’appât du gain, ont donné lieu à d’extraordinaires avancées. Science et technologie ont connu des percées aussi impressionnantes qu’imprévisibles.

Je sais, je saute un peu du coq à l’âne, mais si aujourd’hui j‘apprécie ne plus avoir à installer mes châssis doubles, certains des exploits contemporains me questionnent. Je ne doute pas un instant que les Bezos, les Musk ou Zuckerberg de ce monde aient englouti temps et énergie pour créer et développer des entreprises aux retombées positives. Il m’apparait toutefois que les profits dégagés de leurs réalisations sont hors de proportion. Il y a comme un effet démesuré du levier « capital » que leur confère le succès financier de leur entreprise. Les fortunes qu’ils ont accumulées et qui continuent de gonfler sont abusives. De nombreux pays rêveraient de disposer d’un tel produit intérieur brut (PIB). Il en résulte qu’on s’amuse à offrir aux richissimes des tours de fusée spatiale comme on offrait à une autre époque des « tours de machine » aux enfants. Avec comme retombée à la clé une bonne injection de polluants dans l’atmosphère.

Je ne réclame pas pour autant un retour en arrière, mais est-ce un juste prix à payer pour le progrès ?  Je n’ai pas la réponse, mais je dois bien humblement admettre que si on me demandait un jour d’aller installer les châssis doubles sur la station spatiale, j’y réfléchirais à deux fois avant de dire non !

Michel Carbonneau

2021-11-01

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