Franck Innocenti, maître équestre de niveau international, présente cet été avec son équipe de Apzara leur tout nouveau spectacle : « Le secret de la grange ». Au Camping Havana Resort à Maricourt, en Estrie. Quelle est sa philosophie de travail et quelles sont les valeurs qui l’animent?
« Je ne pensais plus le refaire »
« J’avais arrêté tout ça à cause de la pandémie. Je pensais ne plus le refaire », confie-t-il d’emblée, parlant de son travail artistique avec les chevaux. Une rencontre avec Dominic Perrier, l’un des gestionnaires du Camping Havana Resort, l’a fait changer d’avis.
« Ce projet-là me trottait dans la tête et je l’avais mis sur mon ordinateur. À la suite d’une conversation que nous avons eue ensemble, il m’a demandé de lui envoyer ce que j’avais préparé. Il m’a ensuite dit que c’est ce qu’il voulait. À partir de là, nous avons tout construit en moins de deux mois. Nous avons travaillé dur », exprime-t-il.
10 artistes et 12 chevaux
Une dizaine d’artistes, des animateurs de salle, un musicien, une danseuse professionnelle et une douzaine de chevaux se partagent la scène d’un chapiteau pouvant accueillir jusqu’à 250 personnes. Franck Innocenti fait lui-même partie du spectacle, en présentant un numéro. Alors qu’il pensait seulement diriger la troupe. « Mon équipe m’a convaincu », dit-il.
Charcuteries, fromages et terrine de l’Estrie
La formule proposée aux spectateurs : un dîner ou souper spectacle. Lors duquel sont servis des charcuteries artisanales des Cochons tout ronds de Racine, des fromages de l’Abbaye de Saint-Benoît-du-Lac ainsi qu’une terrine des Canards du Lac-Brome.
Pourquoi ne pas avoir choisi d’aussi servir des fromages de la Fromagerie Nouvelle-France de Racine? « Ça n’a pas bien cliqué et ils ne pouvaient pas nous fournir », répond-il sommairement.
Chapiteau qui rappelle les granges rondes des Cantons
L’entrée du chapiteau a été construite en bois. Pour rappeler l’architecture des granges rondes. Caractéristiques du paysage rural des Cantons de l’Est.
Un musicien « live » plutôt qu’une trame sonore
Plutôt que d’utiliser une trame sonore, Apzara a fait appel au musicien sherbrookois Imersao. « Il suit exactement ce qui se passe sur scène. C’est un homme impressionnant capable de jouer six instruments. Il fait de la musique merveilleuse », fait valoir Franck Innocenti.
« Trois shows en un »
Il ajoute : « En fait, ce spectacle contient trois shows en un. On a mixé un repas, des artistes sur scène et un musicien. Ce qui donne un résultat étonnant », croit-il.
Travailler avec des chevaux mâles
Pour ce type de spectacle, utilise-t-on des chevaux mâles ou femelles? « Ça dépend du dresseur et de ce que tu veux faire. J’ai toujours travaillé avec des étalons ou des mâles castrés, des geldings. Je n’aime pas trop travailler avec les juments parce que ça ne colle pas, socialement. Mais il y en a qui les préfère. » Sur les 12 chevaux que compte le spectacle, il n’y a ainsi que deux juments.
Ce maître équestre recherche la fougue des mâles. Tout en faisant attention à la façon dont le cheval exprime son énergie. « Si un cheval est très chaud et trop excité, on est mieux de le castrer. Mais si tu arrives à le gérer, tu pourras garder son énergie et son attention. De jouer différemment. Parce que le mâle a tendance à jouer. »
« Ça prend une complicité avec le cheval »
Justement, quelle est sa méthode de dressage? « Je vais regarder comment fonctionne le cheval. Dans la nature, c’est une proie. Ce n’est pas facile d’avoir une relation avec lui parce qu’il a tendance à fuir le danger ou ce qui le rend inconfortable. Pour obtenir cette relation, il faut communiquer et devenir complice avec le cheval. À partir de là, on crée un lien et on joue avec lui. »
« Mes chevaux sont beaux parce qu’ils gardent leur liberté »
Pour Franck Innocenti, il est complètement exclut de faire travailler un cheval sous la contrainte. « Certains le font. Mais ce n’est pas notre philosophie. Je n’aime pas ça. Si mes chevaux sont beaux, ce n’est pas parce qu’ils sont dressés. Mais parce qu’ils gardent leur liberté. »
Il fait d’ailleurs remarquer que les cravaches utilisées par les artistes ne sont pas pour fouetter le cheval. Elles servent plutôt d’extension de la main humaine, pour diriger le cheval.
Il ajoute :
« Si un cheval n’a pas envie, il ne fera pas ce qu’on souhaite. Je veux que le cheval aime ce qu’il fait. Je veux qu’il entre en scène, entende sa musique et qu’il soit content. Qu’il ait envie d’être là. Il faut aller chercher le meilleur du cheval en s’adaptant à ce qu’il aime faire. »
« On s’adapte à ce que font les chevaux »
Il ne souhaite pas être comparé avec Cavalia. Non seulement parce que les spectacles de Apzara sont plus modestes. Mais aussi parce qu’il s’agit d’une façon différente de travailler. « J’aime la créativité. Je veux que mes chevaux fassent ce qu’ils veulent. Les numéros ne sont jamais tout à fait les mêmes à chaque représentation. Tu pourrais venir trois fois et tu n’aurais jamais trois fois le même show. Bien sûr, le spectacle a une trame et une histoire. Il y a aussi des entrées et des sorties qui ne peuvent pas changer. Mais on s’adapte à ce que font les chevaux. On laisse l’artiste et le cheval vivre librement leur moment présent sur scène. Le musicien aussi s’adapte, en direct, à ce qu’il voit et perçoit. Et ça n’a pas de prix pour moi. »
Deux à trois ans de travail
À quelques exceptions près, Franck Innocenti et son équipe doivent travailler pendant deux ou trois ans, dans l’ombre, avant que les chevaux puissent être en mesure d’arriver sur une scène. « Ce n’est pas de la musique dont le cheval a peur. C’est plutôt de l’énergie que le public va dégager. Des chevaux vivent aussi plus d’appréhension vis-à-vis des applaudissements. Certains vont s’habituer vite et d’autres moins. Ça dépend aussi de leur humeur. D’ailleurs, ils sont comme nous. Des fois, ils ne sont pas de bonne humeur.»
Le secret du cheval : le sourire de notre âme
Franck Innocenti partage sa philosophie de travail avec les chevaux dans l’ouvrage « Le secret du cheval : le sourire de notre âme ». Dans lequel il mentionne qu’il s’agit une quête qui exige une grande ouverture d’esprit et un travail d’introspection sur soi.
« L’amour permet de dépasser beaucoup de choses »
La trame du spectacle revêt pour lui beaucoup d’importance. « Apzara, c’est le mariage entre l’art du théâtre et l’art équestre. Le premier sert à mettre en lumière toutes les richesses du second », peut-on lire sur le site Web de Apzara.
C’est pourquoi il a choisi d’écrire lui-même le scénario de A à Z. « Oui, il y a de la performance et de la belle musique. Mais c’est important pour moi qu’il y ait un texte qui raconte quelque chose. Avec une morale à la fin. Il faut que les gens sortent grandis du spectacle. Que la graine déposée puisse éventuellement mûrir. »
Que raconte l’histoire de ce spectacle? « Qu’il faut garder la foi. Et que l’amour permet de dépasser beaucoup de choses. En fait, si on s’aimait tous, le monde serait meilleur. »
30 ans de travail avec les chevaux
Franck Innocenti baigne dans l’univers des chevaux depuis de nombreuses années. « Ça fait 25 ans. Euh non… depuis un peu plus longtemps. Presque 30 ans. Il faudrait que j’augmente un peu le nombre d’années! », réalise-t-il, en éclatant de rire.
« Cet homme m’a tout appris et m’a mis au monde »
Tout a commencé alors qu’il vivait en Europe. « Je suis tombé là-dedans un peu par hasard. La mère de mes enfants était amoureuse des chevaux et je l’accompagnais à ses cours. Il y avait là un homme extraordinaire qui m’a dit : «Toi, tu es fait pour être avec les chevaux ». Je lui ai répondu que je ne connaissais rien aux chevaux. Que je ne savais même pas où est la tête et la queue du cheval! Il m’a répondu : « Non, tu es spécial. Viens avec moi. Allons dans le champ et je vais t’expliquer. »
C’est ainsi que tout a débuté pour lui. « Cet homme m’a tout appris. Je lui dois beaucoup. Il m’a mis au monde », confie-t-il avec émotion. « J’ai évolué et il m’a donné ses meilleurs chevaux pour débuter. »
Au fil du temps, Franck Innocenti et ses chevaux ont performé sur les plus grandes scènes d’Europe. « Ces chevaux sont maintenant décédés parce que ça fait presque 30 ans », regrette-t-il.
« Que le numéro raconte quelque chose »
En 2010, il immigre avec sa famille au Québec. Emmenant avec lui dans l’avion ses 12 chevaux. « Je suis venu ici parce que je voulais créer mon théâtre. J’avais une vision artistique différente de tout ce qui se fait en Europe. Il y a là-bas des artistes incroyables qui font des choses magnifiques. Mais ce sont des démonstrations. Je voulais montrer autre chose. Que les chevaux fassent partie intégrante d’une histoire. Pour que chaque numéro ne soit pas seulement un numéro de performance, mais qu’il raconte quelque chose.»
C’est ainsi qu’il a d’abord créé avec sa conjointe de l’époque, Magali Delaud, l’école d’art équestre Beauvallon, à Trois-Rivières. Il en a ensuite fondé une seconde entreprise, Apzara, qui se consacrait uniquement aux spectacles professionnels. L’une de ses filles et son ex-conjointe ont conservé l’école alors qu’il a poursuivi dans l’univers du spectacle.
L’art équestre : rare en Amérique
Les troupes d’arts équestres sont une denrée rare. Outre Cavalia, qui a cessé ses opérations équestres pendant la pandémie, il y a Luna Caballera et Apzara. Cet été, seul Apzara présente un spectacle équestre au Québec.
Même rareté aux États-Unis. Selon Franck Innocenti, les numéros équestres américains se font principalement au sein des cirques. Sa seconde fille et son conjoint, qui sont des artistes équestres, travaillent justement là-bas dans un cirque.
Peut-être plus qu’un seul été
Franck Innocenti souhaite évidemment que le spectacle marche bien cet été. Si c’est le cas, il n’exclut pas que le chapiteau continue de faire partie du paysage de Maricourt pour une durée plus longue qu’un seul été…
À LIRE AUSSI dans Le Val-Ouest :
Un spectacle équestre tout l’été au Camping Havana Resort (mai 2024)