Le Val-Ouest

Moi, les autres et la vie

Cet article est tout d’abord paru dans le Moulin Express le journal de la communauté de Lawrenceville

Mon fils avait 27 ans lorsqu’il s’est noyé en Équateur. Il y a de cela plus de vingt ans. J’ai mis plus de deux ans à refaire surface et encore aujourd’hui, il m’arrive de lui parler. Tout doux, tout bas. Pour lui dire que je ne l’ai pas oublié, qu’il me manque. La perte d’un être cher, à plus forte raison s’il s’agit d’un enfant, demeure déchirante, peu importe son âge. Le 8 février dernier, à Laval, un chauffeur fonçait délibérément avec son autobus dans une garderie et tuait 2 enfants de quatre ans. L’évènement a soulevé une immense vague de sympathie, notamment porteuse d’innombrables oursons en peluche et de non moins nombreux bouquets de fleurs. Que faire d’autre devant pareille absurdité ? Si la réaction populaire traduit une grande empathie et un humanisme indéniable, il témoigne aussi de l’impuissance de notre société devant l’expression de certaines formes de violence.

Autres pays, autres réalités. Même si dans le monde « le nombre de décès chez les enfants de moins de 5 ans a considérablement diminué, passant de 12,6 millions en 1990 à 5,4 millions en 2017»,1 16000 enfants de moins de 5 ans meurent encore chaque jour. Les pays en voie de développement, les mal nommés, sont les plus touchés. En Afrique subsaharienne, 1 enfant sur 12 meurt avant ses 5 ans. Bien que le rappel de cette funeste réalité nous interpelle périodiquement, nous finissons le plus généralement par la considérer comme une sorte de fatalité. « Eux autres c’est pas pareil, ils sont habitués… » Nous, des pays riches, sommes pourtant en partie responsables de cette calamité. En raison des changements climatiques découlant largement de nos modes de vie. En raison aussi de l’exploitation que nous faisons de leurs richesses naturelles contribuant à les maintenir dans une pauvreté et une misère chroniques.

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Et que dire du sort réservé aux adultes aussi bien qu’aux enfants dans les pays en état de guerre ? Le drame ukrainien nous en rappelle trop cruellement l’aberration. Un rouleau compresseur y aplatit quotidiennement la vie. Celle des uns et des autres ne compte plus à moins qu’elle puisse servir de monnaie d’échange, et encore. Comme les cours de la bourse des marchés financiers, les « cours » de la vie sont volatiles. En temps de guerre, celle de l’ennemi perd toute valeur. Il faut d’abord sauver la sienne au prix de la mort de l’autre. Il en est ainsi.

Sur la lune, sur Mars ou sur quelque autre planète, viendra peut-être le jour où cessera ce combat perpétuel entre ceux qui aspirent à sauver la beauté du monde et ceux qui abusent des situations comme des personnes. Pour l’instant hélas, l’humanisme des premiers semble condamné à finir déjoué par les profiteurs et les mécréants dans un éternel recommencement.

Est-ce le poids de l’hiver ou les tensions internationales qui entretiennent chez-moi de si navrantes pensées ? Depuis quelques jours toutefois, le vent a commencé à tourner. Du moins dans ma tête. Un appel à l’aide de ma fille, ma grande comme j’aime à l’appeler, m’a sorti de ma morosité. Le réservoir de sa toilette fuyait, sur le plancher plutôt que dans le bol. Il n’en fallait pas plus pour me sortir de ma torpeur. À demi couché sous l’engin pour retracer le parcours des eaux délinquantes, j’ai renoué avec la pensée positive. J’étais confronté à un problème à ma mesure, loin des crises humanitaires et des déviances humaines. J’allais réussir. Certes, il m’aura fallu tout défaire pour enfin domestiquer l’appareil, mais j’y suis arrivé. Quarante-huit heures plus tard, toujours pas d’errance dans les allers et retours de l’eau. Rien de tel que la confrontation avec les plaisirs et les tracas du quotidien pour mettre en perspective les aléas de la vie.

Il y a aussi le retour de mars. La lumière est plus abondante et le soleil plus chaud. Les érables commencent à couler, la vie renait. Jour après jour, la bergerie m’en fournit la preuve. Les brebis ne cessent d’ajouter des rejetons au troupeau. Je ne sais pas si nous sommes au printemps ou à l’automne de l’humanité. Je me plais à penser que le meilleur est à venir. Je ne serai pas là pour le constater. Dommage! Mais cela ne devrait pas changer grand-chose à l’affaire. Si l’évolution se nourrit de l’adaptation des uns et des autres à leur environnement, elle ne saurait accorder trop d’importance aux cheminements individuels et particuliers. Et dans le livre des transformations déterminantes de l’espèce, mon passage sur terre figurera au mieux dans la liste des numéros absents. Qu’importe pourvu que je puisse encore profiter de la présente saison de ma vie !

1 2018 UNICEF Un enfant de moins de 15 ans meurt toutes les cinq secondes dans le monde https://www.unicef.org › communiqués-de-presse ›

Lire la chronique précédente : J’ai la tête qui éclate

 

Un avis au sujet de « Moi, les autres et la vie »

  1. Monsieur Carbonneau, OH que non, votre passage sur terre ne passera pas seulement dans les numéros absents mais plutôt dans les ‘hommes présents” à ce qui EST, à ce qui VIT, à ce qui amène à réfléchir et à grandir! Encore une fois MERCI pour ces messages profonds, réflexifs et aidant à s’assumer dans cette vie qui fuit…chargée de sentiments d’impuissance mais aussi d’actions d’espérance. Merci encore et SVP, continuité!

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