On en mesure la température depuis plus de 100 ans et les eaux profondes du golfe du Saint-Laurent n’ont jamais été aussi chaudes. Tandis que certaines espèces en sont fort aises, d’autres en souffrent. Et il faudrait une boule de cristal pour prédire l’avenir, selon les chercheurs qui travaillent avec des données jamais vues.
Le 14 juin, les chercheurs Peter Galbraith , Marie-Julie Roux et Marjolaine Blais de l’Institut Maurice Lamontagne de Rimouski ont offert une présentation dont le contenu est sans équivoque : l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent connaissent actuellement d’importants changements de leurs conditions chimiques et biologiques.
Des bouleversements sans précédent
Ces bouleversements sans précédent, intimement liés aux fluctuations de la température des eaux, se traduisent par une baisse marquée des niveaux d’oxygène dans les chenaux profonds, une diminution de l’inventaire de nitrates en surface, une augmentation de l’inventaire de nitrates dans la couche profonde, une augmentation de la biomasse de phytoplancton à l’automne et une diminution de la biomasse et un changement de la composition de la communauté de zooplancton.
« Depuis 2015, on est en record centenaire. Chaque année, c’est plus chaud que la dernière année. Depuis ce record-là de 2015, ça a augmenté de 1 °C, a d’ailleurs indiqué Peter Galbraith, chercheur en océanographie pour Pêches et Océans Canada.
Puisqu’elles y vivent, les populations de poissons et d’invertébrés du golfe sont directement influencées par ces changements écosystémiques.
«Certaines tendances fortes se dessinent, comme une augmentation du flétan atlantique, une espèce qui se porte très bien. On n’a pas établi de lien de cause à effet relié aux changements dans l’environnement, mais c’est une tendance clé dans le système. Il est en augmentation », indique la chercheure Marie-Julie Roux. Les nombreuses captures de flétan durant la plus récente saison de pêche sur la glace ne sont pas étrangères à ce boom.
Effet sur le sébaste et le homard
D’autres espèces comme le sébaste et le homard profitent indubitablement du réchauffement des eaux. «La biomasse du sébaste demeure très élevée. C’est un poisson qui domine la communauté démersale à l’échelle du golfe, c’est-à-dire des poissons qui sont en association avec la couche d’eau profonde. On le suit de près parce que c’est une espèce commerciale qui a atteint un statut très bas dans les années 1990. Sa reproduction est discontinue, mais présentement, il reste l’espèce dominante », indique Mme Roux.
Les pêcheurs de homard sont nombreux à affirmer que le homard est en abondance jamais vue dans le golfe, ce que les chercheurs le confirment : les débarquements de homard atteignent des sommets historiques et les stocks sont en augmentation.
L’augmentation de son « habitat thermique préférentiel » est sans ambiguïté. « Les températures d’eau de surface qui sont vraiment favorables au homard sont de plus en plus prévalentes pour le sud du Golfe. Ça a un effet positif, c’est une espèce gagnante par rapport au changement de température », analyse la chercheure.
Mais certaines espèces souffrent davantage de l’augmentation sans précédent de la température des eaux.
« La crevette nordique, clairement , est défavorisée. Dans l’écosystème du Saint-Laurent, elle est près de la limite sud de son aire de distribution. C’est une espèce associée aux eaux arctiques et subarctiques, donc pour c’est une espèce qui est perdante avec l’augmentation soutenue de la température de l’eau dans la couche profonde. » L’augmentation de la prédation par les sébastes semble être une autre cause du déclin de la crevette dont l’avenir sur le plan commercial est hypothéqué.
Le golfe du Saint-Laurent a atteint en 2022 un sommet historique
De nouvelles espèces (calmar, merlu argenté, argentine) profitent pour leur part des eaux chaudes pour s’aventurer davantage dans le golfe. « De façon généralisée, les espèces sentinelles d’eau chaude sont en augmentation depuis 2017. Les espèces sentinelles d’eau froide comme le flétan du Groenland (turbot), la petite poule de Terre-Neuve, la morue, elles sont en diminution.»
Quoi qu’il en soit, le golfe du Saint-Laurent a atteint en 2022 un sommet historique, battant tous les records établis au fil des 100 années de prises de données dont les chercheurs disposent.
« L’écosystème est en transition, la communauté biologique est en transition. On a des perdants, des gagnants et, à moyen terme, ce sera la même chose. À plus long terme, on se doit d’accumuler des informations, mais c’est difficile lorsqu’on sort complètement de l’enveloppe du connu. Au niveau de la température de l’eau, on est dans l’inconnu, même le modèle le plus sophistiqué ne peut pas faire de prédiction d’au-delà de ce qu’on connaît. Il y a beaucoup d’incertitude », conclut Mme Roux.