Le Val-Ouest

Un voyage qui m’a traversée

Famine

1845, Irlande. En l’espace d’une nuit, une ombre passe sur le pays et le légume qui constitue la base de l’alimentation des Irlandais est atteint d’une étrange maladie. À leur réveil, les habitants remarquent que leurs champs ne sont plus verts, mais noirs. Dans ce temps-là, un homme moyen mange 25 pommes de terre par jour. Cependant, en cette journée fatidique, les légumes sont tachés de noir jusqu’en leur centre. Du jour au lendemain, les Irlandais se retrouvent sans nourriture, et cette famine durera 7 ans. Pour s’en sortir, ils mangeront du lichen, de l’écorce, et certains récits de cannibalisme sont aussi racontés à mots couverts.

Cette famine affaiblira le pays, qui passera de 8,5 millions d’habitants à 5 millions en moins de 10 ans. De ces 3 millions de têtes en moins, un million mourra et plus de 2 millions quitteront l’île dans l’espoir de trouver une vie meilleure outremer. De ceux-là, des centaines de milliers passeront par le Québec, certains choisissant de s’y établir et d’autres de continuer leur chemin vers le Canada anglais ou les États-Unis.

Ces événements, c’est au fil de ma route en Irlande que je les ai revisités, toujours un peu plus en profondeur. Je les connaissais déjà, car bien sûr ils nous sont enseignés dans nos cours au secondaire; après tout, la famine irlandaise a eu un profond impact sur notre peuple québécois. Toutefois, c’est toujours bouleversant d’être en contact direct avec l’Histoire plutôt que de ne la lire que sur des pages vieillies par le temps.

 

De l’Irlande à la Grosse-Île

À Waterford, nous sommes accueillis chez un couple âgé, formule Airbnb. Notre chambre est directement dans leur maison privée, où ils nous attendent à bras ouverts, insistant pour nous servir un thé chaud. Bien que je trouve mal élevé de refuser ce qu’on m’offre en voyage, je décline, car je sais que si je bois du thé à cette heure (il est près de 21h), je m’en mordrai les doigts. Autour du feu de foyer qui crépite, ils nous racontent leur famille et leur pays, puis l’homme dit : « Mon arrière-grand-père a été le capitaine du Dunbrody Famine Ship, qui est exposé à New Ross. » Cette visite ne faisait pas partie de nos plans, mais l’occasion est trop belle. Le lendemain, nous faisons donc le détour vers New Ross, renonçant de ce fait à d’autres arrêts prévus, en toute connaissance de cause. Au final, nous poserons les pieds sur les deux seuls navires pouvant être visités encore aujourd’hui; le Dunbrody ainsi que le Jeanie Johnston, de Dublin. Ces visites s’imposent à nous comme une continuité à nos explorations de l’été dernier, la route nous ayant menés jusqu’à la Grosse-Île, près de Montmagny.

La Grosse-Île, c’était l’île de quarantaine; un arrêt obligé pour tout bateau transportant des passagers et désireux d’accoster sur nos côtes. Aujourd’hui, un lieu historique protégé, nous pouvons la découvrir en été. Des personnages colorés y attendent les touristes pour leur faire vivre une expérience d’époque (vous pouvez voir une vidéo de notre visite sur ma chaîne YouTube).

Encore habités de cette visite d’il y a quelques mois à peine, vous pouvez imaginer comment la découverte des deux famine ship nous a touchés. Les guides savent rendre les histoires vivantes et le temps d’un moment, je me suis retrouvée dans la peau d’une émigrante irlandaise vivant 6 semaines sur ce bateau, n’ayant accès au bleu du ciel qu’environ une heure par jour (et ce par beau temps seulement), partageant ma couchette avec 5 autres adultes.

Fausse promesse

Un peu plus loin, quelque part entre Galway et Westport, c’est la tragédie de la vallée de Doolough qui nous traverse. L’histoire se passe toujours pendant la Grande Famine, plus précisément en 1849, mais cette fois à Louisbourg, où la population attendait impatiemment l’arrivée de deux fonctionnaires de la Poor Law Union (organisme d’aide aux nécessiteux). Ceux-ci devaient inspecter les bénéficiaires de « secours aux pauvres » afin de déterminer s’ils avaient toujours droit à cette aide, mais pour des raisons inconnues, l’inspection n’eut pas lieu et les deux officiers donnèrent plutôt rendez-vous à la population à Delphi, un village à 19 km plus au sud. Les bénéficiaires devaient s’y présenter le lendemain matin. Quelques centaines de personnes firent donc le trajet à pied, affamées et très peu vêtues, mais au final ne reçurent jamais l’aide promise. Bien sûr, plusieurs moururent en chemin. Étant moi-même sur les lieux en février, il était facile d’imaginer dans quel genre de froid ces gens avaient dû voyager.

Absence de roches

En traversant la frontière qui mène vers l’Irlande du Nord, un détail nous frappe : les murs de pierre, emblème de notre voyage jusqu’alors, brillent par leur absence. Les champs sont vastes et le sol ne semble pas aussi rocailleux que dans la République d’Irlande… Comment expliquer une telle différence? Par le climat? Le travail plus ardu? Mais non. Une charmante famille nous explique que les conquérants ont simplement choisi de garder les meilleures terres du pays lors de la division, c’est-à-dire celles du Nord.

Protestants contre catholiques

J’avais cru qu’en mettant pied en terre anglaise (l’Irlande du Nord), nous n’entendrions plus d’histoires de malheurs pour quelques jours. Après tout, nous étions alors en terre conquise, du côté des « vainqueurs ». Mais je me trompais! À Belfast, on nous parle du Peace Wall et du Black Cab Tour. J’ignore totalement de quoi il est question. Étrange comme je n’en avais pas entendu parler dans toutes les vidéos que j’avais regardées pour préparer mon voyage…! Puis c’est à ce moment que notre hôte Airbnb nous parle des Troubles, une guerre nord-irlandaise qui a eu lieu de 1965 à 1997. Un conflit armé faisant plus de 3 480 morts, 47 500 blessés, 19 600 prisonniers emprisonnés sans jugement, 37 000 fusillades et 16 200 attentats. Des murs de paix sont érigés dans la ville afin de séparer les quartiers majoritairement catholiques de ceux majoritairement protestants et diminuer les conflits armés. Aujourd’hui, nous pouvons découvrir cette histoire à bord des taxis noirs, qui font voyager les touristes de tragédie en tragédie.

Encore aujourd’hui…

J’ai la bouche grande ouverte en entendant ces récits. Notre hôte, qui a dans la trentaine, témoigne de comment encore aujourd’hui, les jeunes ne seront généralement amis qu’avec les autres jeunes de même arrière-plan religieux, et ce, même s’ils ne vont pas eux-mêmes à l’église. En gros, un catholique aura des amis catholiques, et un protestant aura des amis protestants. Je suis bouche bée que des histoires de religion soient encore aussi fortes et sensibles dans un pays d’Europe.

Le sang qui coule dans nos veines

Plusieurs familles québécoises comptent parmi leurs ancêtres des Irlandais et la mienne en fait partie; mon arrière-grand-père l’était. Je n’ai pourtant aucune information sur cette branche de ma famille, car il s’est bien assuré de ne rien transmettre comme information à ses enfants. Je n’allais pas en Irlande afin d’approfondir les recherches, mais lorsque j’ai dit à cette femme, au milieu d’un pub de Dublin, que mon arrière-grand-père avait tu son passé, sa réponse a amené une nouvelle lumière sur mon histoire familiale : « Ce n’est pas surprenant qu’il n’ait rien dit. En quittant leur terre, beaucoup d’Irlandais laissaient tout derrière, et tournaient la page pour de bon sur cette partie douloureuse de leur existence. »

À quelques jours de la Saint-Patrick, je lève mon verre à ce peuple qui s’est battu pour ses terres et sa survie et de qui le sang coule dans nos veines aujourd’hui encore.

Lire sa chronique précédente : Le Mexique, hors des tout-inclus, est-ce sécuritaire?

Une nouvelle, un événement à faire paraître?

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