Le Val-Ouest

Boues d’épuration : la pointe de l’iceberg de la contamination aux polluants éternels (PFAS)

« Ça fait 996 jours que je tente d’alerter les décideurs et je commence à perdre espoir, car j’ai un fort pressentiment que les “scientifiques” travaillant au compte des promoteurs de boues vont faire pour les PFAS comme ils ont fait pour les pesticides et déterminer un niveau considéré comme « acceptable », mais qui va continuer à contaminer petit à petit la chaîne alimentaire et les eaux pour leurs profits présents aux dépens des êtres vivants et des générations futures », déclare Pascal Goux, résident de la municipalité du canton de Cleveland.

 boues d'épuration: Monsieur Goux estime avoir subi une forme d’empoisonnement à la suite de l’entreposageAu cours de l’été 2020, Monsieur Goux estime avoir subi une forme d’empoisonnement à la suite de l’entreposage de tas provenant de l’usine de biométhanisation de Repentigny et de matières d’égouts. Ces deux composants, considérés comme des matières résiduelles fertilisantes (MRF), se sont retrouvés aux abords de sa propriété et auraient contaminé son puit et sa famille. Ils ont dû se rendre à l’hôpital à plusieurs reprises pour différents malaises, ainsi que chez le vétérinaire, car leur chien et leurs poules ont eu plusieurs symptômes notables. Depuis, l’ingénieur retraité mène une lutte de tous les jours pour dénoncer le manque d’encadrement pour l’entreposage et l’utilisation de ces MRF pour fertiliser les champs.

La présence des PFAS dans les boues d’épuration et ses effets sur la santé

Comme expliqué dans une récente conférence du professeur en chimie environnementale Sébastien Sauvé (voir référence en bas de page), le guide gouvernemental sur le recyclage des matières résiduelles fertilisantes contient de nombreuses normes, mais plusieurs contaminants dont les PFAS manquent d’encadrement. La recommandation de Santé canada pour leur présence dans l’eau potable démontre bien la situation. Plutôt que de fixer un seuil précis, l’agence canadienne recommande : « De maintenir les concentrations de PFAS dans l’eau potable au niveau le plus bas possible qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre » !

Ces substances per- et polyfluoroalkylées de leur nom scientifique sont en effet relativement nouvelles, mais c’est surtout leurs effets néfastes qui sont de plus en plus rendus publics. On retrouve des PFAS dans de très nombreux objets du quotidien, notamment dans tous les vêtements imperméables, certains produits cosmétiques, ou encore les papiers d’emballage, notamment dans la restauration rapide. À titre d’avertissement, le professeur Sauvé, invite toute la population a arrêté immédiatement de consommer des sacs de pop-corn que l’on fait sauter au micro-ondes ! Ces produits chimiques très résistants et donc appréciés de plusieurs industries sont également très persistants dans l’environnement. Or, on sait maintenant (et depuis un certain temps d’ailleurs tel que présenté dans le film Dark Waters qui retrace la lutte contre Dupont, le fabricant de téflon) les effets potentiellement dramatiques sur la santé de la population : cancers, malformations congénitales, diminution de la réponse immunitaire, etc. Une récente enquête d’un consortium de médias européens mentionne que 16 millions d’Européen.nes seraient affecté.es. Or, bien que ce que l’on qualifie aussi de polluant éternel (car très résistants) se retrouve jusque dans la nourriture, sa présence a bien été détectée dans certaines boues issues de plusieurs stations d’épuration (voir la présentation de Sébastien Sauvé). Il faut en effet comprendre que toutes les eaux usées, domestiques ou industrielles, se retrouvent la plupart du temps au même endroit, soit dans les stations d’épuration. La présence d’une industrie productrice (il n’y en a pas au Québec) ou utilisatrice (tel que les pâtes et papiers) de PFAS risque donc d’augmenter leur présence dans les boues.

De la tempête médiatique au projet de modification de la Loi sur la qualité de l’environnement et du Règlement sur les exploitations agricoles

Bien que le sujet ne soit pas nouveau, notamment pour monsieur Goux, c’est bien le reportage présenté en décembre 2022 par Radio-Canada dans l’émission Enquête qui va déclencher une prise de conscience à l’échelle du Québec. Dans leur reportage intitulé « Une histoire qui ne sent pas bon », les journalistes révèlent que des boues d’épuration sont exportées de plusieurs États américains, où leur utilisation est interdite, vers le Québec. On apprend également, à la suite du témoignage d’agriculteurs, comment leur terre a été contaminée à la suite de l’utilisation de matières fertilisantes provenant de stations d’épuration. Et ce n’est pas tout. Déjà malmenés dans l’affaire Louis Robert, des agronomes se retrouvent dans des situations de conflits d’intérêts en agissant comme juges et parties au service des entreprises faisant des bénéfices sur la récupération de ces matières. Encore une fois, monsieur Goux, qui a porté son affaire avec succès devant l’ordre des agronomes, ne sera pas surpris autant que la population. Il n’empêche que l’Ordre des agronomes devrait prendre les moyens nécessaires pour que les activités de ses membres protègent réellement le public avant de répondre à des exigences d’entreprises privées. Un respect plus strict des normes d’épandage devrait également être assuré.

À cause de la pause du temps des fêtes, ce n’est qu’au début de l’année 2023 que l’onde de choc provoquée par ce reportage s’est concrétisée. Dès le 13  janvier 2023, la municipalité du canton de Cleveland, sensibilisé par monsieur Goux, a adopté une résolution demandant au gouvernement du Québec : «  D’appliquer le principe de précaution dans la gestion des  MRF en cessant d’autoriser leur épandage sur les terres agricoles du Québec par le biais d’un moratoire, et ce, le temps qu’un débat public ait lieu sur la question et que soit adopté un cadre réglementaire strict afin d’éviter que soient étendues dans l’environnement des  concentrations trop élevées de contaminants émergents de type médicaments, hormones, plastiques et PFAS ».

Le conseil municipal demandait également de cesser l’importation de boues des USA et de revoir l’encadrement afin que les agronomes ne se retrouvent en conflit d’intérêts. Suivi par la MRC du Val-Saint-François puis par de nombreuses autres municipalités, la pression n’a pas cessé de monter sur le gouvernement depuis toutes ces semaines, provoquant également une vague de refus d’utiliser les MRF dans le milieu agricole et un surplus de stockage dans plusieurs usines de biométhanisation.


Résolution adoptée par la MRC du Val Saint-François

La MRC du Val-Saint-François a demandé un arrêt d’importation de biosolides étrangers par le biais d’un moratoire, et un cadre règlementaire plus strict en termes des critères à respecter pour l’épandage de biosolides et y inclure les contaminants d’intérêt émergent préoccupants pour la santé humaine et des sols (comme les PFAS).


C’est finalement dans la Gazette officielle du Québec du 22 février que sera publié un projet de règlement prévoyant une interdiction d’épandre des boues d’épuration ainsi que celles provenant de fabriques de pâtes et papiers « lorsque l’une ou l’autre de ces boues proviennent de l’extérieur du Canada ». Une consultation est donc en cours sur le sujet jusqu’à la fin du mois de mars (vous pouvez demander des renseignements ou présenter votre opinion en écrivant à question.bslr@environnement.gouv.qc.ca). Dans l’attente de l’adoption d’un nouvel encadrement, le gouvernement a imposé un moratoire sur l’épandage des boues provenant des USA.

Agir plus et à la source

La nécessité d’aller plus loin que l’interdiction de l’importation des boues d’épuration américaines 

 Bien qu’on ne puisse que saluer cette première décision, les encadrements proposés ne vont pas suffisamment loin. Que ce soient les révélations publiées sur la contamination en Europe fin février, celles sur la présence de PFAS dans la presque totalité de l’eau potable des villes Québécoises par Radio-Canada le 18 février ou encore, le même jour, celles du journal La Presse concernant l’effet des PFAS sur la baisse de l’efficacité des vaccins, les effets néfastes de ces polluants sur la santé et l’environnement sont trop importants pour ne pas adopter un règlement beaucoup plus musclé. Comme mentionné par le professeur Sauvé, il est tout d’abord nécessaire que le gouvernement se dote de la capacité à dépister les traces de PFAS dans les boues d’épuration si l’on souhaite être en mesure de poursuivre à les utiliser comme matières fertilisantes dans nos champs. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’officiellement ces matières ne sont pas utilisées pour fertiliser les productions destinées à l’alimentation humaine directe et que l’UPA est très réticente à leur utilisation.

Bien que ces boues puissent à priori s’intégrer dans un modèle d’économie circulaire (et qu’il faut bien s’en débarrasser), il n’est pas soutenable de continuer à jouer à la roulette russe avec nos réserves d’eau et notre santé. Il ne faut pas non plus se voiler la face et ne pas montrer du doigt les principaux acteurs du problème : les industries qui utilisent, en toute connaissance de cause, l’ensemble des substances chimiques contenu dans les PFAS. Seule une action à la source, c’est-à-dire une identification des entreprises polluantes et des actions gouvernementales à leur égard permettra de réellement faire une différence. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) travaille d’ailleurs déjà sur un projet pour bannir ces substances. Les gouvernements du Québec et du Canada doivent agir rapidement pour nous protéger.

Pour aller plus loin :

Articles de Radio-Canada
Une histoire qui ne sent pas bon
Québec impose un moratoire temporaire sur l’épandage de biosolides des États-Unis
Des contaminants éternels dans l’eau potable de villes québécoises
Biosolides des États-Unis : Québec propose un nouveau règlement
Levée de boucliers contre les matières résiduelles fertilisantes en Estrie

Conférence de Sébastien Sauvé
L’enjeu des PFAS dans le milieu agricole – Laboratoire d’innovation – Université de Montréal
La conversation
Voici ce que vous devez savoir sur les PFAS, que l’on surnomme « polluants éternels »
Le courrier de Saint-Hyacinthe
Le digestat, la matière dont plus personne ne veut
Le Monde
Révélations sur la contamination massive de l’Europe par les PFAS, ces polluants éternels
La Presse
L’effet des perfluorés sur l’efficacité des vaccins confirmé
Le papier toilette « source potentiellement importante » de polluants éternels PFAS
Le Val-Ouest
La MRC demande un moratoire sur l’importation de biosolides étrangers
Ministère de l’Environnement du Québec
Biosolides et substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS)

Lire la chronique précédente : Les lacs du Val pas en si bonne santé

2 avis au sujet de « Boues d’épuration : la pointe de l’iceberg de la contamination aux polluants éternels (PFAS) »

  1. Avec toutes les avancées actuelles de la science , il est inacceptable que de telles choses se produisent et surtout qu’elles perdurent. À quoi nous sert la politique si elle ne protège pas la santé du peuple ? ? ?
    Vraiment terrible ! ! !

  2. Il faudra une grande mobilisation populaire pour que les gouvernements légifèrent pour protéger l’eau et notre santé lorsque l’on sait que le gouvernement de la CAQ accorde à la fonderie Horne le droit de polluer en lui permettant d’émettre 33 fois plus d’émissions d’arsenic que la norme québécoise existante malgré les preuves scientifiques des impacts négatifs de l’arsenic sur la santé de la population.

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