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C’était une bergère sans troupeau. Échouée comme les bateaux colorés de ce petit port enclavé. Au temps des beaux jours, il avait connu ses belles heures. Aux temps où la pêche se faisait au gré des marées. Aux rythmes des saisons de la vie. Un port de grande fortune où l’on avait tiré avantage d’une simple tournure dans les rochers. Un endroit où venir se mettre à l’abri et pouvoir prospérer.

Il y avait elle. Comme un bibelot, dans un musée. Précieuse et vibrante. Elle avait pris tout le beau du coin et l’avait concentré au même endroit. Installé tout autour. Son sourire dansait dans sa petite boutique comme les parcelles de lumières sur les vagues de la mer… les jours où le soleil est généreux. Elle avait le sourire vrai même les jours de grands vents.

Ses couleurs à elle s’accolaient avec toutes celles des maisons et des bateaux. On pouvait les voir par une fenêtre à carreaux. On aurait pu croire à un décor de film avec elle au milieu. Des écheveaux de laine multicolore accrochés au mur. Un grand mannequin de bois habillé d’un long châle trônait au centre de la pièce avec des cadres de paysage de laine sur l’autre mur. Et elle, accueillante, mais réservée, un peu en retrait, dans un coin de la pièce. Confortablement assises dans son grand fauteuil plein de coussins. À côté d’elle, une théière sortie d’un autre décor. Blanche avec des petites fleurs. Quatre tasses attendaient suspendues sur des crochets en fer, bien en vue, pour que tout de suite on se sente bienvenus. Un miroir ornementé et doré nous renvoyait une image de nous un peu changée. Embellie par la lumière de l’endroit on dirait. Elle souriait en pédalant de son étrange rouet. Plus petit que dans l’histoire de mon enfance… plus joyeux aussi. Comme s’il annonçait déjà de ne pas se prendre au sérieux. Elle pédalait comme danse un enfant en suivant une musique intérieure. Filait la laine cardée pour en faire un fil fin. Un fil à tisser de la beauté.

Elle avait acheté un élevage pour faire le commerce de la laine. Mais pour un permis refusé, elle avait dû y renoncer. Alors son mari était allé lui chercher ce petit rouet portatif et lui avait dit : Ben T’auras qu’à la vendre par toi-même la laine. Alors elle avait appris. De fil en aiguille ses doigts ont commencé à donner vie à des objets de beauté. Les textures, les couleurs. Comment ses doigts savent comment poser toutes les nuances du monde? Comment savent- ils suivre le fil jusqu’à en fabriquer du beau? Elle a dit : parfois une mauvaise nouvelle c’est la meilleure chose qui soit. Elle a dit : Y’a un super pouvoir qui sommeille au fond de soi. Suffit de lui donner du souffle et de commencer à tricoter. M’a demandé avec son regard bien planté dans le mien… j’ai eu le temps d’y voir se dérouler tout un voyage. Elle a dit : c’est quoi ton super pouvoir à toi? Il me semble que c’était ça. Et j’ai dit : tricoter les mots, je crois.

C’était une bergère sans troupeau. Une dame sans âge vraiment. Qui cardait la laine avec son rouet. Une rencontre improbable comme pour Alice dans son pays des merveilles. Une dame qui savait agencer des fils de couleurs pour en faire du beau. Et dire des mots qui vont se déposer au fond du cœur. La beauté existe même cachée dans un simple brin de laine. Suffit de suivre le fil et de se laisser aller. Et vous, de quelle couleur est votre pouvoir à vous?

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