Le 7 mai 1945, j’avais 10 ans. Je « marchais au catéchisme » avec mon frère Marien. Marcher au catéchisme, c’était abandonner l’école une semaine pour suivre des cours de catéchisme dispensés par le curé de la paroisse. Le village était situé à deux milles et demi de notre maison et nous en revenions à pied à la fin de la journée. En cours de route, les cloches de l’église se mettent à sonner, longtemps.
En arrivant à la maison, ma mère est dehors, les bras en l’air et crie : « la guerre est finie ».
Nous n’avons jamais entendu un coup de fusil pendant les cinq ans que la guerre a duré, mais elle a conditionné toute notre vie. Je donne quelques exemples.
En entrant dans l’école, nous nous retrouvions devant un grand « poster » d’Hitler, menaçant et hideux.
Sur le pont de la rivière de L’Isle-Verte, des sentinelles arrêtaient toutes les automobiles et peinturaient en noir la moitié supérieure des phares des voitures. Les phares étaient, dans le temps, montés sur l’aile et les astucieux, déjà avertis, faisaient le même travail avec des chambres à air coupées. Pour que les sous-marins allemands ne puissent pas bombarder les villages au bord du fleuve. Les sous-marins allemands remontaient loin dans le fleuve.
Certains trains, qui passaient pas très loin de chez nous, criaient fort et de façon continue. Nous savions que c’étaient des trains de soldats. Des trains qui roulaient vers Halifax, pour que les soldats partent de l’aut’bord. Les trains roulaient vite pour que ceux-ci ne sautent pas du train en marche.
Les matériaux de consommation étaient rares et de mauvaise qualité. Les chaussures de caoutchouc, par exemple, cassaient par grand froid.
Quatre garçons du voisin dans la vingtaine, c’est-à-dire à l’âge d’être enrôlés, ont passé trois ans dans une cabane en bois rond sous le couvert d’une forêt de sapins. Pas de feu dans le jour, pas de pas dans la neige. Approvisionnement hasardeux. La police militaire les a cherchés continuellement. Mon père connaissait la cachette de ses jeunes voisins. Il a réussi à ne pas les trahir.
Le rationnement alimentaire était très strict. Chaque personne, enfants compris, recevait mensuellement un livret de coupons pour les aliments essentiels : sucre, viande, etc. Les couples seuls, surtout dans les villes et les villages, en souffraient beaucoup. Nous vivions sur une ferme avec plusieurs petits enfants. Nous en dépannions donc plusieurs, surtout dans la parenté.
J’étais en train d’oublier un personnage important : le SOLDAT LEBRUN. Où que nous allions, les premiers appareils radio nous faisaient entendre la voix et la guitare du soldat Lebrun. Plus encore que La Bolduc.
Je n’avais que 8-9 ans à l’époque et je me souviens encore de plusieurs de ses chansons par cœur. Grand-maman, ah oui grand-maman, c’est un sentier où l’herbe pousse. Viens t’asseoir près de moi, petite amie.
Pour sauver notre monde, il faut aller risquer la mort. Etc.
Je n’ai connu qu’un soldat revenu de la guerre. Il était une loque humaine. Peu après son retour, on l’a retrouvé mort, gelé dans un banc de neige.