Ma mère Irène s’est mariée à 19 ans. À 25 ans, elle avait déjà 5 enfants, car les deux derniers étaient des jumeaux. Elle s’est rendue à quinze. C’est dire que je l’ai presque toujours connue enceinte. C’est-à-dire que je ne me suis jamais aperçu qu’elle était enceinte. Elle était « faite de même ».
À 11 ans, mon plan de vie était déjà bien élaboré : je serais un prêtre. Une décision sous influence. Comme ma maitresse d’école du quatrième rang n’était pas assez instruite, elle n’avait que sa septième année, ma mère a décidé que j’irais chez les sœurs au couvent de L’Isle-Verte et habiterais deux ans chez deux vieux oncles et tantes. Je me suis ennuyé cordialement, mais la bibliothèque du couvent était assez fournie. J’ai donc lu une bonne partie de ces années. Et je suis allé regarder passer « les gros chars », pendant des heures.
Faut dire que les garçons, pendant le jour et même pendant les premières années, ça ne restait pas beaucoup dans la maison. Très jeunes, nous travaillions avec le père, dehors. J’ai bien dit : très jeunes. Pomper l’eau, tourner la manivelle du ¨centrifuge¨, faire boire les veaux, ramasser les œufs des poules, ramasser les roches, rentrer le bois, etc. En fait, nous entrions dans la maison pour manger, et pour dormir.
Les filles, elles, travaillaient avec ma mère. Très jeunes elles aussi. Aider à la vaisselle, prendre soin des bébés, préparer les repas, faire du ménage. En fait, tout le train-train de la maison. Tout le monde se levait en même temps et mangeait en même temps. Les filles sortaient travailler dehors uniquement pour les travaux de la ferme qui avaient besoin de plus de bras : ramasser les patates, racler l’avoine, traire les vaches, etc. Elles sortaient en priorité pour la cueillette de tous les fruits sauvages : fraises, bleuets, framboises. Il y en avait tout l’été. Et même l’automne. Ramasser des bleuets n’était pas d’abord un plaisir, mais un travail. Et nous n’avions pas le droit d’en manger. À mesure qu’elles grandissaient, elles s’accaparaient les tâches des grandes, les tâches de ma mère.
Ma mère Irène était douée d’une capacité de travail et d’un savoir-faire qui tient presque de l’impossible. À quelque vingt ans, elle connaissait la cuisine, la couture, le filage, le tricot, le soin des bébés, le jardinage, les soins de base en santé, j’en passe. Elle faisait la couture pour à peu près tous les vêtements d’enfants, souvent avec des poches de farine, ou de sucre. Pendant une période, les poches de farine étaient fleuries. Et toutes mes petites sœurs étaient fleuries. Mes sœurs apprenaient à tenir la maison comme ma mère. Tellement qu’une de mes sœurs, à 12 ans, avait été «engagée » pour aider une femme qui venait d’avoir un bébé. Elle l’aidait à tenir maison. Mes sœurs venaient travailler dehors avec nous uniquement quand les travaux plus légers de la ferme l’exigeaient.
L’équipement de la maison était résolument primaire. Ils demandaient aussi pas mal d’efforts physiques. Heureusement mon père a procuré rapidement à ma mère des objets d’avant-garde pour l’aider dans la maison. 1- Un meuble à action mécanique pour pétrir le pain. Avant, elle devait « boulanger » la tête penchée sur la « huche » et elle en avait plein les bras. Comme nous mangions beaucoup de pain, elle boulangeait de grosses « fournées » et cette tâche revenait souvent. Avec le poêle qui chauffait toute la journée, même l’été. Le meuble contenait un sac de cent livres de farine et toutes les « casseroles » pour cuire le pain. La machine avait une transmission manuelle avec une poignée pour remplacer les bras. Les enfants pouvaient la tourner. Ils se remplaçaient à la tâche. 2- Une laveuse actionnée par un à moteur à gaz. Avant, il fallait mettre la mécanique en branle avec l’épaule, les bras et la main. Après l’achat de la machine, une pédale mettait le moteur en marche et la machine faisait le travail toute seule. Parfois accompagnée d’une odeur de gaz bien connue. 3- Deux machines à tricoter mécaniques, une pour tricoter des bas et l’autre pour tisser. Imaginez le temps pour tricoter trente bas. Une tricoteuse pouvait monter une paire de bas en une heure. On avait le droit d’être un peu paresseux.
Même si elle n’avait pas beaucoup fréquenté l’école, elle écrivait sans fautes de français. À l’instar de mon père, elle lisait beaucoup et se préoccupait beaucoup de politique. Dans les dernières années de sa vie, elle est devenue présidente de l’Âge d’Or. Elle avait la parole facile et un don exceptionnel pour conter des histoires. Et un fort leadership. Elle était aussi une cuisinière exceptionnelle. Pour douze, pour quinze, pour trente. Beaucoup de soupe à l’orge ou aux pois.. Beaucoup de patates, de pain, de hareng salé, de lard salé. Nous n’avons jamais eu vraiment faim. Elle n’avait pas peur des gros chaudrons. Nous avons toujours vidé nos assiettes.
Elle a toujours travaillé très fort. Elle se trouvait pourtant un moment d’arrêt : le dimanche après-midi. Avec les plus jeunes enfants, elle se montait des bouquets de roses avec du fil de fer et du papier crêpé. Elle jouait aussi de l’accordéon. Comme toutes ses sœurs. Comme presque toutes mes sœurs aussi.
Mon étincelle : L’intelligence commence toujours par le doute.








                    





1 commentaire
Renelle
Quelle femme courageuse et forte était ta mère
Que de beaux souvenirs! Merci de nous les partager.