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On est de son enfance comme d’un pays. Je vous le répète, je viens du Bas-Saint-Laurent. Et la géographie de notre enfance, ça laisse des traces profondes. Nous vivions près du fleuve : dans le quatrième rang. Notre fleuve à nous, notre majestueux Saint-Laurent, ne coule pas d’est en ouest, mais bien de nord-est en sud-ouest. De sorte que, au moins dans les régions en bas de Québec, nous disions toujours « nordais » et « sorouais » pour indiquer l’est et l’ouest. Le nord et le sud subissaient la même déviation. Enfant, je n’ai jamais compris pourquoi notre soleil se couchait au nord-ouest et se levait au sud-est.

L’orientation sur la base des points cardinaux était tellement intégrée dans notre culture que nous n’utilisions jamais (ou presque) les mots « droite » et « gauche ». Nous disions : « la porte du nordais », le « clos du nord », « la fenêtre du sorouais ». Tu prends le « su ».

De plus, sous le régime français, le premier peuplement était planifié. Contrairement au peuplement des Cantons de l’Est, par exemple, qui était largement laissé au gré des nouveaux arrivants. Parlant anglais et venus du nord-est des États-Unis. Je vous explique. Tout le long du fleuve, les premières habitations étaient presque toutes construites au bord du fleuve et les villages s’enracinaient à l’embouchure des rivières.

C’était le cas à L’Ile-Verte, Rivière-du-Loup, Rivière-Ouelle, Trois-Rivières, etc. À l’origine, il n’y avait pas de routes terrestres. Le Chemin du Roy, entre Québec et Montréal, n’a été terminé qu’en 1737. Philippe-Aubert de Gaspé, dans Les anciens Canadiens, nous offre une bonne description d’une expédition entre Québec et Saint-Jean-Port-Joli, à une époque encore plus tardive. Les déplacements se faisaient avec des voitures d’eau. C’est ainsi qu’on les appelait. Des bateaux sommaires ou élaborés. Des quais sommaires ou élaborés. Des vestiges du quai de Saint-Éloi subsistaient encore dans mon enfance.

Quand les lots sur le bord de l’eau étaient tous occupés (ces lots avaient deux arpents et demi de larges par vingt-huit de haut), on montait une route vers un autre rang, plus loin du fleuve. Un rang plus haut, qu’on peuplait de la même façon. On procédait ainsi entre les deux rivières qui descendaient vers le fleuve. Rang un, rang 2, rang 3…… Des rangs parallèles en ligne droite. Et comme les rivières ne descendaient pas au fleuve en ligne droite, on divisait les espaces irréguliers autrement et on donnait un nom aux exceptions géographiques : le P’tit deux, le Reste, les Lots Renversés, etc.
Quand je suis arrivé en Estrie, j’ai mis beaucoup de temps à me repérer et fait beaucoup de détours inutiles. Et j’ai dû oublier les points cardinaux comme points de repère. Les indications fournies n’avaient rien à voir avec les points cardinaux. Je devais me contenter de : la grange au toit rouge, tu tournes à droite, tu prends le pont, etc.

Ici, je vivais dans un peuplement dont la culture de base était anglaise. On disait à la blague que les Anglais arrivaient du sud avec une vache, qu’ils se rendaient au bout du chemin existant, qu’ils envoyaient la vache devant jusqu’à ce qu’elle trouve de l’herbe à manger. C’était le signal; « C’est ici qu’on se construit ».

Les routes n’étaient pas droites, les maisons parfois loin du chemin, les clôtures dans des directions diverses. Le soleil et l’heure n’étaient plus d’aucune utilité comme boussole.
Un peu comme si les Français avaient toujours pensé en système métrique et les Anglais en milles, en arpents et en pouces.
Mais l’homme est fait pour s’adapter.

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