Deux commerces estriens remettent en question les modalités entourant la modernisation du système de consigne au Québec. Selon le Dépanneur Foisy (Valcourt) et La Potinerie (Racine), ces nouvelles règles riment avec d’importantes pertes de revenu, une diminution des services pour les citoyens et la fin de campagnes de financement pour des organismes locaux de bienfaisance.
Rappelons que selon le Règlement adopté en 2022 par le gouvernement du Québec, certains petits commerçants (superficie de 375 mètres carrés ou moins) avaient, depuis le 1er novembre 2023, la possibilité de continuer ou non à gérer les contenants consignés. Le temps que l’ensemble des lieux de retour de Consignaction soient déployés dans la province.
Continuer à gérer la consigne… pour un temps limité
Le Dépanneur Foisy et la Potinerie font partie de ceux qui ont souhaité poursuivre, en signant une entente avec l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCB). Association dont «Consignaction» est l’emblème et la marque officielle.
Leur contrat stipulait que dès qu’un lieu de retour serait déployé dans leur région, ils devraient cesser d’accepter les contenants consignés. Ce qui est le cas depuis l’ouverture d’un point de service de Consignaction dans le stationnement du supermarché IGA Ouimette à Valcourt au printemps dernier.
En février, l’un des copropriétaires de La Potinerie et conseiller municipal à Racine, Nicolas Turcotte, avait publiquement fait savoir que cela impacterait négativement son commerce. Malgré cette sortie, La Potinerie a dû cesser d’accepter les contenants consignés le 25 juin dernier.
Au cours des dernières semaines, le Dépanneur Foisy, situé à Valcourt, a lui aussi réagi. Depuis que Consignaction l’ait informé de cesser d’accepter les contenants consignés à compter du 3 octobre dernier.

Impact sur le chiffre d’affaires
Pour ces deux commerces, le fait de ne plus avoir la possibilité d’accepter des contenants consignés a un impact direct sur leur chiffre d’affaires.
«Depuis la fin de la consigne chez nous, il y a une petite baisse de mes ventes. Est-ce que ça pourrait aussi être dû à la crise économique? Peut-être. Mais ce qui est sûr, c’est que les ventes que je faisais lorsqu’un client ramenait des cannettes, je ne les fais plus. Pour le moment, je ne vois plus ces clients. Est-ce qu’ils vont revenir éventuellement? Ça reste à suivre», explique le propriétaire du Dépanneur Foisy, Mathieu Foisy.

Même son de cloche à Racine.
«Depuis que nous avons arrêté de gérer les contenants consignés, nous avons une baisse d’environ 10 % de notre chiffre d’affaires par rapport à l’an dernier. C’est dur d’isoler tous les facteurs qui expliquent cette baisse. Mais le fait de ne plus les recueillir a une influence», rapporte Nicolas Turcotte, copropriétaire de La Potinerie.
La perte de revenu correspondant à la prime reçue pour la gestion de la consigne se chiffre à plusieurs milliers de dollars pour La Potinerie et à des dizaines de milliers de dollars pour le Dépanneur Foisy. Des montants non négligeables pour ces petits commerces.

«Ce sont des ventes et des revenus en moins»
L’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ) dit suivre de près ce dossier. Son directeur général, Yves Servais, pointe qu’au cours des deux dernières années, environ 550 dépanneurs et épiceries auraient fermé leurs portes au Québec. En raison de différentes raisons.
«Une situation comme celle-là n’aide pas. Quand tu envoies tes clients ailleurs pour porter leurs consignes, ce sont des ventes en moins, donc des revenus en moins. Pour un commerce de proximité dans un village, c’est encore plus difficile d’aller chercher une rentabilité. J’ai donc une préoccupation pour ces commerces qui travaillent fort pour rester ouverts et donner de bons services», partage-t-il.
Selon lui, la situation de ces deux établissements estriens n’est pas unique. D’autres de ses membres, ailleurs au Québec, vivent ce même inconfort. C’est pourquoi son organisme profite de réunions de travail avec Consignaction pour en discuter. «Nous leur mentionnons que nous avons une certaine sensibilité pour ces petits commerces qui en arrachent déjà.»

«Le IGA n’a rien à voir là-dedans»
Tous les intervenants locaux interrogés dans le cadre de ce reportage ont clairement tenu à mentionner que leurs démarches ne visaient nullement le supermarché de Valcourt. Bien que le lieu de retour de Consignaction soit situé dans son stationnement.
«Le IGA n’a rien à voir là-dedans. Ce n’est pas leur faute. C’est une décision de Consignaction. Ce sont eux qui choisissent les centres de consigne», fait remarquer Mathieu Foisy.
Ce que confirme la copropriétaire de l’épicerie, Sandra Ouimette.
«Consignaction nous a contacté pour que nous devenions un lieu de retour pour la région, compte tenu de la superficie de notre commerce. Nous nous conformons ainsi à cette obligation légale. Comme les autres, je souhaite moi aussi que les gens fréquentent nos commerces locaux.»

Les conseils municipaux s’impliquent
Les conseils municipaux de Racine et de Valcourt ont décidé d’appuyer ces commerçants par le biais de résolutions et de représentations politiques.
«Un commerce de proximité est important pour une petite communauté comme la nôtre. Notre village est axé sur l’agroalimentaire, mais nous devons aussi avoir des commerces qui assurent des services. Ça participe à la vitalité de notre milieu. Il faut donc assurer leur survie. Nous faisons ces pressions auprès des représentants politiques et gouvernementaux parce que nous soutenons l’économie locale», fait savoir Mario Côté, maire de Racine.

Autant Pierre Tétrault, maire de Valcourt et préfet de la MRC du Val-Saint-François, que Mario Côté, ont tous deux mentionnés au Val-Ouest que le gouvernement n’a peut-être pas tenu compte des différences entre la réalité rurale et urbaine.
«En région, nous avons un autre mode de vie, une autre réalité, que celle de Montréal, Québec, Longueuil ou Laval. Lorsqu’une décision est prise à Québec, il faut que le gouvernement pense aux impacts sur les plus petites communautés», exprime le maire de Racine.

«Il faut se réjouir du déploiement de la consigne»
Le député de Richmond, André Bachand, convient que les réalités sont bien différentes en ville et à la campagne. «C’est sûr qu’en ruralité, quelques kilomètres peuvent être problématiques», dit-il.
Il tient toutefois à souligner l’aspect positif de ce grand chantier à la grandeur de la province.
«Nous avons commencé à travailler ce dossier dès notre élection, en 2018. Ç’a été extrêmement long. Il faut se réjouir qu’après toutes ces années, il y a un déploiement de la consigne au Québec.»
André Bachand dit comprendre les impacts de cette règlementation sur le chiffre d’affaires de ces commerces.
«Ce n’est pas parfait, on en convient. Mais en même temps, il faut fonctionner avec la loi et le règlement en place. Nous avons dit aux commerçants que le règlement a été fait pour centraliser la consigne. Il y a eu beaucoup de consultations publiques ces dernières années. Et ce qui a été suggéré, c’est un lieu de consigne dans un périmètre de cinq kilomètres.»

Souplesse et flexibilité possibles?
L’AMDEQ, les maires et les commerçants ont tous mentionné en entrevue qu’ils souhaitent que le gouvernement fasse preuve de davantage de souplesse et de flexibilité dans l’application du règlement. Cela serait-il possible? André Bachand promet d’en discuter avec le ministre de l’Environnement, Bernard Drainville.
«Nous sommes actuellement dans la phase de déploiement. Ce ne serait pas souhaitable de modifier quelque chose à court terme. Il faut aller jusqu’au bout de cette première phase. Mais éventuellement, on pourra regarder tout ça. Parce qu’on peut toujours améliorer les choses. Mais je ne veux pas donner de faux espoirs à personne.»
Interpellé par le Val-Ouest, le ministère de l’Environnement renvoie la balle à l’AQRCB. «Tout aménagement particulier au sein d’un lieu de retour doit être discuté avec l’AQRCB, indépendamment de sa localisation. La flexibilité se trouve donc dans cette démarche devant être entreprise entre le détaillant et l’AQRCB en vue de convenir d’une entente», a répondu la Direction des communications.
Nicolas Turcotte a justement fait plusieurs démarches, au cours des derniers mois, auprès de l’AQRCB. Qui se sont toutes soldées par une impasse. Mathieu Foisy dit avoir lui aussi tenté de faire valoir sa position.
Objectif : 90 % de récupération
Jean-François Lefort, vice-président aux affaires corporatives de l’AQRCB, rappelle de son côté que c’est le gouvernement qui a décidé de moderniser le système de la consigne et d’établir les règles. Le mandat de déployer ce nouveau système a ensuite été confié à son organisme. Le règlement prévoit d’ailleurs que Consignaction doit atteindre, d’ici 2032, la cible de récupération de 90 % des contenants mis en marché au Québec. «C’est un des plus hauts taux au monde», souligne-t-il.
Il confirme lui aussi que, pour le moment, des aménagements ne sont pas possibles.
«Nous avons le défi de transformer un système qui date de plus de 40 ans. C’est énorme. À l’échelle du Québec, ça prend une standardisation du réseau pour opérer de façon efficace et optimale. Avec les cas de Racine et de Valcourt, on pourrait se dire : «mais pourquoi ne pas continuer là?». Mais si on se pose la même question dans des centaines d’autres municipalités à travers la province, ça pourrait devenir difficile de standardiser l’expérience client et les processus logistiques.»
Comme André Bachand, Jean-François Lefort laisse entrevoir une petite ouverture, mais pas à court terme. «Est-ce que des solutions pourraient être adaptées? C’est possible, mais pas pour le moment. À ce stade-ci, nous sommes au début de la transformation des lieux de retour.»
Ouverture à accepter davantage de contenants
Lors des prochaines phases du déploiement de la consigne, on prévoit, en plus de la récupération des cannettes d’aluminium, d’autres types de contenants, comme ceux en verre, en plastique et multicouche («Tetra Pak»).

Certains marchands sont bien contents de ne plus avoir à gérer ces contenants, compte tenu des défis logistiques. Ce n’est pas le cas de La Potinerie et du Dépanneur Foisy.
Nicolas Turcotte affirme que son commerce racinois serait ouvert à cette possibilité, si on la lui permettait. Mathieu Foisy est prêt lui aussi à gérer d’autres types de contenants, mis à part ceux de lait. Compte tenu de l’odeur et du risque de vermine, dit-il.

Une façon de s’acheter du lait ou de payer son souper
Au-delà des impacts financiers pour ces commerçants, ces règles semblent avoir des conséquences sur la clientèle en situation de précarité financière. Qui utilise l’argent de la consigne pour se procurer des denrées alimentaires.
Ce que souligne avec émotion l’une des employés du Dépanneur Foisy, Stéphanie Shufelt.
«Nous avons un client qui vient au dépanneur depuis belle lurette. Il fait le tour de la ville pour ramasser les cannettes qui trainent. Il les amenait tous les jours au dépanneur pour payer son souper. C’est la seule façon qu’il avait trouvé pour se nourrir.»
Elle offre un second exemple :
«Récemment, une personne est arrivée avec ses cannettes et je les ai refusées. La personne m’a répondu que c’était l’argent dont elle avait besoin pour s’acheter du lait. Ça m’a brisé le cœur et j’ai versé une larme», confie-t-elle.
Stéphanie Shufelt s’est sentie tellement interpellée par cet enjeu qu’elle a décidé, de son propre-chef, de lancer une pétition. Qui a jusqu’à présent recueilli plus de 500 signatures. Elle est aussi allé rencontrer divers représentants politiques de la région.

Pierre Tétrault fait partie des élus qu’elle a rencontrés. Il s’est dit touché par sa présentation.
«Nous ne connaissions pas cette réalité. On nous a expliqué qu’il y a des gens moins fortunés qui viennent porter leurs cannettes pour être capables, ensuite, de s’acheter un peu de nourriture. Certaines personnes n’ont pas de véhicule pour aller jusqu’au IGA porter leurs cannettes et recevoir l’argent.»

Fin de dons à des organismes de bienfaisance?
Un autre aspect de ce dossier est le fait qu’une partie de l’argent de la consigne, autant à Racine qu’à Valcourt, était remise aux fondations des écoles primaires et secondaire. Des dons de 500 $ à 1000 $ par année à Racine et de 3000 $ à 7000 $ par année à Valcourt.
Selon les deux dépanneurs, il ne sera plus possible de faire des collectes de fonds sous cette forme.
Cannettes jetées dans le bac
Les deux établissements mentionnent également percevoir une certaine colère et un laisser-aller de la part d’une partie de leur clientèle. Ils disent retrouver, sur une base régulière, des cannettes dans les bacs de récupération de leurs établissements.
«Il y a beaucoup de contenants qui se ramassent dans le bac. On le voit à notre commerce. Les gens s’achètent une boisson gazeuse et ils la mettent ensuite à la récupération. Alors que l’objectif, au Québec, ça devrait être d’augmenter le taux de récupération par le biais de la consigne», signale Nicolas Turcotte.
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2 commentaires
SylvieAres
Très beau résumé de ces 2 commerces , ne lâchez pas votre bataille.
Loulou Bélanger
Je donnais toutes mes bouteilles et canettes à la Potinerie pour les activités scolaires de l’école de Racine. En plus, c’est ben trop compliqué d’aller au IGA et de faire le tri. Espérant que cette loi change et que nous puissions de nouveau les remettre aux d’épandeurs.