Depuis plusieurs années, nous faisons une échappée de quelques jours dans la région de Charlevoix. Étonnamment, après toutes ces escapades, l’endroit nous réservait encore une surprise. Nous y avons découvert le singulier Jardin des lilas de Cap-à-l’Aigle. La variété des plants impressionne. Plusieurs viennent d’Amérique, d’autres d’Europe et certains même d’Asie. Un spectacle aussi haut en couleur qu’en parfums, dans une mixité qui ne semble aucunement gêner leur cohabitation !
Je suis assis devant la baie vitrée qui donne sur le fleuve. Le temps est au beau. Deux cargos se croisent, chacun creusant son sillage. Aidé par le courant dans un cas, à contre-courant dans l’autre. L’air bouge à peine. Toutes voiles baissées, un voilier avance vers le large espérant y trouver bon vent. Ses deux mâts sans voiles lui donnent une allure de squelette. Un petit cousin à simple mât le suit de près. Ils ont l’air perdus dans leur quête d’un souffle venant du large.
Encore sans voilure, le deux mâts espère toujours un vent complice. Son petit cousin se satisfait de la mince brise qui gonfle à peine sa voile. Le courant aidant, elle suffit à le faire avancer sans destination autre que celle de ce zéphyr aussi paresseux qu’indécis sur sa trajectoire. Simplement flotter en se laissant bercer par les courtes vagues. Hypnotisé par la mince vapeur d’eau qui s’échappe du fleuve, mon esprit papillonne sans réfléchir. Un pur bonheur !
De retour à la maison, mes pensées vagabondent dans le souvenir de ces effluves printaniers. Elles flottent et se complaisent dans une forme d’état second, ni rêverie ni pleine conscience. Je suis simplement là. De la fenêtre de mon bureau, j’aperçois les lupins et les barbes-de-bouc bercés par le vent. Un bourdon, sans doute une femelle ouvrière, s’affaire avec énergie à cueillir le pollen, d’une hampe florale à l’autre. La survie de son clan en dépend. Tout comme celle de ces plantes. Intrigante complémentarité, toute naturelle, tout accidentelle en apparence, mais combien orchestrée.
J’ai longtemps cru que la raison finirait par l’emporter sur les humeurs. La vie m’a appris que la raison n’est pas tout, que la vérité n’est pas une et que les comportements puisent à d’innombrables motivations. En jetant un regard en arrière, je réalise aussi comment se sont toujours joués les rapports de force. La raison du plus fort est toujours la meilleure a déjà écrit Jean de La Fontaine. Tout au long de ma vie, j’ai aimé partager mes prises de position, faire connaître mes allégeances et, à l’occasion, mener des combats, défendre avec vigueur mes idées. J’ai connu l’ivresse des victoires, mais aussi la déception des batailles perdues. Si c’était à refaire, j’aime croire que je m’investirais encore tout autant. Mais les enjeux sont aujourd’hui fort différents. Sur le terrain politique à tout le moins, force est de reconnaitre que la « formule démocratique » parvient de moins en moins à écarter du pouvoir les assoiffés de contrôle et de domination.
Difficile d’imaginer de quoi sera fait demain. Les visions d’avenir se multiplient et s’entrechoquent. Certaines font rêver alors que d’autres font craindre le pire. Les progrès de la science et de la technologie s’accélèrent et leurs retombées surprennent un peu plus chaque jour. En contrepartie, les apprentis sorciers se multiplient, leurs moyens gagnent en puissance et leurs méfaits en ampleur. Où et comment trouver l’équilibre entre les effets révolutionnaires des unes et délétères des autres ?
Plus près de moi, plus près de nous, je regarde évoluer notre entité québécoise. Après la Révolution tranquille, nous avons connu les années exaltantes. Tout nous semblait possible. Le Québec s’affirmait comme « société distincte » fière de sa culture et de son identité francophones, dynamique et audacieuse, tous arts confondus, active dans le monde des affaires et davantage maîtresse de son économie. Mais l’enthousiasme d’alors s’est essoufflé au fil des ans. L’écrasante domination américaine, tant dans l’univers de la culture que de la technologie et que de l’économie, a eu raison de notre enthousiasme collectif et de certains de nos rêves.
Un peu désorientée devant l’ampleur et la multiplicité des défis qui l’attendent, aussi bien que des voies qui se présentent, notre jeunesse se cherche. La question qui la confronte est de décider d’une humanité pour demain. Laquelle définir et comment l’actualiser ? En réaction peut-être au déroutant climat politique mondial actuel, je crois percevoir chez elle une nouvelle ferveur. À tout le moins, elle éclatait lors de notre récente Fête nationale !
En ce mois de juillet, mon souffle intérieur est à peine plus porteur que le vent du large sur le fleuve, mais fort heureusement, tout aussi apaisant. Je ne questionne plus ni la politique, ni l’économie, ni la bêtise humaine. Mon esprit vagabonde dans une sérénité enveloppante. Je cesse de pester et de m’inquiéter. Aurais-je rendu les armes ? Je verrai bien l’automne venu.
1 commentaire
Diane Guimont
Que c’est bon de vous lire cher M. Carbonneau!
À chaque chronique, je me relie à vos propos.
Mais cette chronique du mois de juillet intitulé « Cap-à-l’Aigle » me rejoint particulièrement…
Je vis cette même présence, tendant davantage vers l’équilibre que vers l’inquiétude. « Que sera sera » dit la chanson… pour ma part j’observe, je cherche la nuance, et je choisis le beau, le vrai, l’ancré…
Bon été à vous!
Et merci de partager vos réflexions inspirées et inspirantes!
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