À l’automne 85, après le camp d’été de Contrecœur, je me retrouve à Longueuil pour ma deuxième année de cégep. Je vis avec ma sœur. Ces fragments rendent compte de la lente glissade qui m’amènera à œuvrer à temps plein auprès des enfants.
Fin août 85, Chemin Chambly, Longueuil. Je marche. Je marche vers le cégep avec, au bout de mon pauvre grand bras d’ado-adulte, un sac d’école, ni en coton, ni kaki, ni compagnon, ni dans ma mémoire à jamais. Un sombre sac d’école.
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Ma sœur, son chum et moi, évachés sur le divan du salon. On écoute Dynastie un lundi soir dans notre appart de la rue Bruges. À l’annonce, le chum sort sa pipe de hashish. J’en prends deux puffs. J’aime ça, on rit. Dans les silences, je contrôle mal mes pensées. Je n’aime pas ça.
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Un grand aquarium long d’au moins 5 pieds où nagent plein de beaux poissons tropicaux. On est chez le chum. On joue au hockey sur table dans une petite pièce à côté. On est stones. Ma sœur s’ennuie dans le salon à côté des poissons.
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Sur le tableau vert d’une classe de cégep, écrit à la craie : la philo c’est plate, à quoi ça sert? Le prof arrive, un vieux barbu qui fume. Il voit ça. Je suis assis devant. Je ne connais personne. Je ne parle à personne. Le prof fait un speech passionné; il nous dit de chercher ce qu’on aime dans la vie. Allez, allez, amusez-vous!
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Les poissons, agglutinés au fond de l’aquarium, ne bougent plus. Ils suffoquent. Je suis responsable de les nourrir pendant que ma sœur et son chum sont en voyage. Je panique. Il y en a pour des milliers de dollars. En cas d’urgence, il faut changer l’eau. Ça me prend des heures, c’est compliqué. Je suis stressé, j’ai chaud.
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Mon pupitre est une île déserte et isolée. Le prof de philo y pose ma copie. Dans la marge de la première page, je peux lire : ce travail démontre une fois de plus votre maturité. Je vis de mes maigres prêts et bourses. Je suis devenu adulte trop vite. Je n’ai plus d’insouciance. C’est le prix à payer pour cette maturité.
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Je déambule dans l’insectarium de Montréal, des feuilles et un crayon dans les mains. C’est pour un travail du cours de bio. Je ne sais pas trop ce que j’ai à faire, je n’ai pas posé de questions. Je n’ai plus de motivation. Mon corps est vide, ma peau est une fine couche de verre. Je suis invisible. Fragile, comme ces insectes épinglés sur le mur.
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Je suis devant la télé. Émission spéciale sur l’explosion de la navette Challenger. Un grand Y blanc et molletonné dans un ciel bleu métallique. Je marche vers le cégep. Sans tuque, les oreilles gelées. Je ne ressens plus rien. Je ne lève même plus les yeux vers le ciel.
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J’ouvre les yeux. Le cadran indique 8h30. Mon examen de chimie des solutions est à… 8h30. Je décide, à cette seconde, de lâcher l’école. Une décision ferme. Je mets de la musique. Je me sens léger. Ma sœur arrive de chez son chum. Elle a l’air triste. Je lui annonce ma décision, elle me demande : qu’est-ce que tu vas faire pour vivre?
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Seul, dans mon appartement, assis à la table de la cuisine, je feuillète le journal à la section des offres d’emplois. Dehors, il neige. Paul Piché joue à la radio.
Dans l’aquarium, là-bas, les poissons nagent normalement.