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La classe de maternelle est un paysage. Je ne le voyais pas. Je n’étais pas à cette fenêtre. Je bougeais. Affairé, je participais au spectacle, inconscient de cette ouverture.
Je prends du recul. J’aperçois, du coin de l’œil, la fenêtre qui m’attire. Je laisse les enfants qui jouent calmement, ils sont bien. Je m’éloigne vers la fenêtre. Je la traverse. Je me retourne, la referme. Et je regarde.

***

La classe de maternelle est le plus beau des paysages. Le plus astronomiquement magnifique spectacle de l’univers infini de tous les temps immémoriaux. C’est plus beau que la plus belle des fleurs. Plus beau que le mont Orford. Plus beau que tous les chats de la terre. Plus beau qu’un cadeau de Noël. Que mille cadeaux de Noël. Que mille milliards de milliards de cadeaux de Noël.
Une classe de maternelle, c’est beau dans ces superlatifs gonflables qui n’en finissent plus. Beau quand ce n’est même plus drôle et que ça ne mène à rien. Beau dans les erreurs et les cafouillages. Beau, même, dans les malaises. Dans cette pauvre petite crotte de nez collée sur une joue. Dans tous ces gestes désinhibés : une culbute impromptue, un soulier sur une tête, un doigt dans l’oreille de son voisin. Beau dans ces milliers de commentaires hors sujet.

– Oui Juliette, tu veux parler…?
– Ma mère danse souvent dans le salon.
– On parlait des animaux marins Juliette!

Puis c’est beau ailleurs.

C’est beau dans les aveux qu’ils font de leur faute à la première question. Quand ils s’excusent avec un câlin. C’est beau dans leurs refus d’avouer, incapables, dans leurs yeux mouillés, de cacher la vérité. C’est beau dans leurs jolis mots, tournures savoureuses, authentique poésie. C’est beau dans leurs postures, une patte en l’air, le front sur le plancher, une paume qui frotte une tempe. Beau dans le sérieux de leurs yeux face à ce qui semble si futile. Beau quand quelque chose les fait rire et qu’ils veulent que ça se répète, encore et encore.

C’est beau à mille autres moments.

C’est beau quand ils créent. Le pinceau levé, un mouvement de recul, une trace laissée. Un garage en blocs de bois construit à deux. Une discussion de fond, des solutions. C’est beau quand ils bricolent, quand ils découpent des petits bouts de papier et qu’ils les collectionnent dans une enveloppe. Beau quand ils font des cadeaux. Wow, c’est magnifique! (C’est tellement souvent tout croche.)

C’est beau quand ils apprennent. Ça se fait comme ça, comme on marche, comme on respire. C’est quotidien. C’est ordinaire, comme dirait ma mère.

On est bien ici. On est bien, comme dans une famille de fourmis travaillantes.

C’est beau parfois, les premiers jours, quand ils sont arrachés aux bras de leur mère qui sort de la classe en pleurant. Beau, dix minutes plus tard, les voir sourire et entrer dans le jeu. Beau de voir le chemin parcouru. Tu vois, avant l’Halloween, tu n’étais pas capable de découper un cercle; là, t’es capable!

C’est beau quand ils jouent à faire semblant, beau de les voir m’apporter les uns à la suite des autres, tous fiers, des assiettes pleines de bouffe en plastique toute mélangée : cornets de crème glacée, pointes de pizza, canne de soupe aux tomates. Beau d’entendre leurs voix de princesse, de pompier pressé, de mères exaspérées.

C’est beau en chacune d’elles, en chacun d’eux. C’est beau en toi, Robin, quand tu viens me voir pour me dire, enfin, que Guillaume te dérange; c’est courageux. C’est beau, Rosalie, quand tu tournoies sur le tapis comme sur une scène imaginaire, beau de te voir t’épanouir. C’est beau, Kim, de sentir que tu fais l’effort d’écouter les autres qui parlent à la causerie : tu les regardes au lieu de déranger les amis à côté de toi; on s’en était parlé hier.

C’est beau, les enfants, vos créations affichées sur le mur, voir toutes vos différences.

Qui se souvient de ce que ça veut dire le mot original…?

***

Comme Alice, j’ai suivi le lapin, traversé le miroir. J’ai passé ma vie dans le monde de l’enfance. Dans cette beauté. J’ai retraversé, dans l’autre sens, cette fenêtre cet automne. Je suis maintenant dans le monde de l’écriture. C’est le même. Inversé.

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