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J’ai attrapé ma mère cette année.  Je l’ai appelée pour lui demander de chercher un fil de connexion spécial que j’aurais oublié dans son appart, un fil blanc, très mince.

« Ça ressemble à un fil à pêche. »

Je l’ai entendue au téléphone déplacer des meubles, béding bédang, ç’a duré un bon deux minutes.

« Je le trouve pas ton fil! »

– T’es sûre? C’est un petit fil blanc, comme un fil pour attraper des poissons.

Elle a saisi. Je suis parti à rire. Elle, pas tant. Je lui ai demandé, espiègle : « Aimes-tu mieux l’annoncer aux autres toi-même, ou je peux le faire? »

– Gâte-toi, ça va leur faire du bien!

Les autres, c’est la parenté. Tout le monde y a goûté un jour. Ma mère était la championne du poisson d’avril. Elle se faisait un malin plaisir de nous prévenir quelques jours avant : « Oubliez pas, c’est bientôt le premier avril, checkez-vous! » Avec ses préambules crédibles, on tombait dans le panneau à chaque fois. En plus, elle s’obligeait à y insérer une petite référence « poissonnière ». Le grand classique fut la fois où ma sœur a dû se lever à 7 heures du matin en catastrophe pour aller garder le bébé de la voisine. Ma mère lui avait fait accroire que cette dernière venait d’avaler une arête de poisson, qu’elle devait se rendre d’urgence à l’hôpital. Ma sœur, aussi, n’a pas tant ri.

J’avoue, cette année, j’ai peut-être abusé. Ma mère n’a plus la même vivacité. Mais j’ai été juste, je l’ai avertie moi aussi : « Demain, c’est le poisson môman! » Elle a bien mordu. J’ai senti un petit pincement. Ma mère est dévastée par moment de la perte de ses capacités. Je me suis senti un peu coupable. Elle a fini par en rire. L’humour est ce qui nous tient dans cette famille. Un humour vif, tendu, qui flirte toujours un peu avec le noir. Mais il survit et nous lie. Et puis, je savais que ça ferait plaisir à ma sœur…

***

À l’école, le premier avril, je racontais tout ça aux enfants. Les tours de ma mère, la mauvaise humeur de ma sœur, nos tentatives ratées, etc. Ça les captivait. En plus des poissons qu’on se collait dans le dos avec une frénétique discrétion, il y avait ces histoires qui nous permettaient une pause plus calme dans cette journée souvent survoltée.

Je me rends compte que ces jours du premier avril ont été mémorables pour moi, probablement à cause de l’esprit de ma mère qui les teintait d’une sorte de nostalgie.

Mon souvenir le plus marquant est le « méchant » tour que j’ai fait à mes élèves de Racine en 1999. On formait un groupe allumé. Dès l’automne, tôt, j’avais semé les graines de la lecture en jouant de toutes sortes de façons avec les lettres, les sons, les syllabes, les mots. Ils apprenaient vite : le principe de la lecture commençait à rentrer, comme on dit. Cette semaine-là, du début avril, était prévue une sortie pour un spectacle très attendu. Le premier avril au matin, comme tous les matins, j’avais écrit un message au tableau. Un petit message de quelques lignes qu’on déchiffrait ensemble grâce à ce qu’on connaissait déjà. Ce moment routinier était riche, profitable. Les enfants cherchaient, se questionnaient, consolidaient, apprenaient. Ce matin-là, très innocemment, j’avais écrit :

J’ai une triste nouvelle : il n’y a pas de sortie demain.

J’avais encerclé le « ou » et le « elle » de nouvelle, le «ain » de demain, barré le « e » de sortie. Sans dire un mot, je les avais observés. Comme chaque jour, je m’émerveillais de voir dans ces yeux froncés l’effort mental, la bouche bouger, le geste des bruits appris et, ce jour-là particulièrement, admirer le miracle de la compréhension. Les visages s’étaient soudainement décomposés, les yeux devenus tristes. J’ai vu des larmes se former. Ils avaient presque tous réussi à comprendre, seuls, le message. J’étais fier. Ils s’étaient retournés vers moi pour valider. J’étais resté impassible et muet. Je m’étais rendu au tableau écrire en grosse lettre POISSON D’AVRIL ! Ils avaient lu et compris. J’avais eu beaucoup de protestations. J’étais doublement fier de moi.

***

J’ai hâte que ma mère lise ce texte. Je pense qu’elle l’appréciera. Je l’aide chaque semaine à les trouver sur sa « maudite » tablette. Elle veut toujours le lire elle-même, à voix haute. Sa lecture est parfois hésitante, mais la compréhension, toute là. J’adore l’entendre rire exactement aux endroits où moi-même j’ai souri en écrivant.

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