Le Val-Ouest

Lutte à la berce du Caucase à Racine : on devra utiliser des herbicides

La municipalité de Racine, en Estrie, est aux prises avec la plus importante infestation de berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum) au Québec. Malgré des efforts soutenus depuis 2017, cette plante est encore très présente. Tant et si bien que du glyphosate (Roundup), un puissant herbicide probablement cancérogène, devra être utilisé en milieu naturel dès la fin avril.

Au fil des ans, plusieurs méthodes manuelles ont été utilisées pour venir à bout de cette colonie de berce de Caucase : arrachage, bâchage, labour et coupe d’ombelles. Ainsi que, dans une moindre mesure, de petites quantités d’herbicides. Bien que la plante soit aussi présente sur les territoires des municipalités voisines de Maricourt, du Canton de Valcourt et de Valcourt, c’est Racine la plus touchée.

Utilisation de bâches pour empêcher la propagation de la plante en milieu naturel.  (crédit photo : CRE Estrie)

«Sans que les gens ne s’en rendent compte»

Les plants se retrouvent sur les berges du ruisseau Benda, un affluent du ruisseau Brandy et de la rivière Noire. «C’est un cours d’eau qui n’est pas particulièrement fréquenté. Un lieu propice pour la berce, avec des clairières et des plaines inondables. Il peut se créer des colonies sans que les gens ne s’en rendent compte. Alors la plante continue de se reproduire.»

Tout a commencé en 2016, quand BRP a embauché une firme pour éliminer la berce du Caucase présente sur ses terrains dans la région de Valcourt. L’hiver suivant, les quatre municipalités se sont réunies pour analyser la situation. Pour ensuite choisir d’agir de façon concertée dès 2017.

«Durant huit ans, nous avons effectué des travaux d’arrachage et de coupes d’ombelles pour contrôler la prolifération de la berce du Caucase. C’est un travail difficile, qui demande des ressources financières et humaines hors du commun», explique Nicolas Trottier, président et fondateur de Quadra Environnement. La firme chargée des travaux depuis 2016.

Arrachage de plants de berce du Caucase à Racine, en Estrie.  (crédit photo : Quadra Environnement)

Utilisation exceptionnelle d’herbicides

Les méthodes testées ces dernières années ont donné des résultats satisfaisants. Mais compte tenu de l’ampleur du problème, la firme conseille désormais à Racine l’utilisation d’herbicides de manière plus intensive pour les trois prochaines années.

Cette utilisation exceptionnelle en milieu naturel est possible à la suite des changements apportés en 2023 par le gouvernement au Code de gestion des pesticides. Le code précise, à l’article 29.1, qu’un pesticide peut être appliqué près d’un cours d’eau pour des plantes très spécifiques, dont la berce du Caucase. Et ce, dans le cadre d’un plan d’intervention établi par le gouvernement.

Le maire de Racine, Mario Côté, confirme que c’est l’option choisie. L’une des raisons de ce choix : les coûts importants des travaux. Depuis 2017, cette municipalité de 1340 habitants a déboursé 89 600 $ pour contrôle cette plante. Cette année, on prévoit que la facture devrait s’élever autour de 18 000 $.

«Ce n’est pas le même coût [d’utiliser les herbicides] que celui de quelqu’un habillé en scaphandre qui va ramasser la plante», illustre-t-il.

Le maire de Racine, Mario Côté, confirme que sa municipalité va continuer de s’engager financièrement dans la lutte à la berce du Caucase sur son territoire.  (crédit photo : MRC du Val-Saint-François / Studio Vicky Bombardier)

Tenir compte de la capacité de payer

Ces montants payés par Racine ne sont qu’une fraction de ce qui a été réellement investi pour tenter de contrôler la berce du Caucase. En plus des montants fournis par les quatre municipalités touchées, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) en Estrie a financé, entre 2018 et 2024, deux projets de recherche dans le cadre de son programme Prime-Vert.

Ces possibilités de financements gouvernementaux ne sont maintenant plus possibles, compte tenu qu’ils ont été offerts deux fois. Dorénavant, les municipalités devront utiliser leurs propres ressources financières. Ce qu’elles ont accepté.

Dès 2017, le plan d’intervention tient compte de la capacité de payer des contribuables. «Ce sont de petites municipalités qui n’ont pas nécessairement d’importantes ressources financières. Il fallait que ce soit fait au rythme où elles étaient capables de le faire», expose Nicolas Trottier.

Pulvérisation dès la fin avril

Nicolas Trottier confirme que cette utilisation d’herbicides aura lieu entre la dernière semaine d’avril jusqu’à la fin mai. Cette pulvérisation, tôt en saison, permet d’éradiquer les plantes qui, à ce stade, mesurent environ 10 à 15 centimètres. Plutôt qu’une hauteur de deux à cinq mètres, pendant l’été. Ce qui permet d’utiliser des quantités moindres d’herbicides. «C’est une période où la végétation résidente n’est pas encore sortie de terre et lors de laquelle les arbustes n’ont pas encore leur feuillage», précise-t-il.

Ce spécialiste se dit bien conscient de la toxicité du produit utilisé.

«C’est un herbicide à large spectre. C’est-à-dire que ça tue toute la végétation, sauf celle génétiquement modifiée pour résister à la molécule. C’est sûr que ça fait beaucoup de dégâts. Nous n’allons pas appliquer ça à l’aveugle. Nous allons suivre une procédure à la lettre. Mais on ne peut pas garantir que ce qu’on fait est d’une innocuité complète. Dans les circonstances, ce sera un impact très contrôlé.»

Ces traitements devront tenir compte de la météo. Pour éviter que le produit ne se retrouve dans les cours d’eau ou qu’il affecte les plantes voisines, il sera pulvérisé hors des périodes de grands vents ou de pluie. «C’est vraiment la météo qui a le dernier mot», résume Nicolas Trottier.

Nicolas Trottier, président et fondateur de Quadra Environnement, explique qu’un plan d’intervention très strict encadrera l’utilisation du glyphosate pour éliminer la berce du Caucase.  (crédit photo : Quadra Environnement)

Un dilemme pour le CRE Estrie

Depuis 2017, le Conseil régional de l’environnement de l’Estrie (CRE Estrie) s’implique activement dans ce dossier. Par la recherche de financement et l’administration des soutiens financiers obtenus du MAPAQ. De même, le CRE Estrie a organisé des activités de sensibilisation pour le public et les médias.

Sa codirectrice générale, Jacinthe Caron, reconnaît que d’utiliser cette solution reste un choix difficile pour un organisme comme le sien voué à la protection de l’environnement. «C’est un gros dilemme. Ils ne vont appliquer du Roundup que sur les plantes. Mais c’est vrai qu’une partie risque de se retrouver malgré tout dans le sol.»

Pour Jacinthe Caron, il faut entre deux maux choisir le moindre.

«En ce moment, la berce du Caucase empêche tout autre forme de biodiversité d’émerger. Et elle prend une ampleur importante. Cette solution est vraiment un cas particulier», reconnait-elle.

Jacinthe Caron, codirectrice générale du CRE Estrie, reconnaît que d’utiliser cette solution reste un choix difficile pour un organisme comme le sien voué à la protection de l’environnement.  (crédit photo : CRE Estrie)

Des brûlures au contact de la plante

En plus d’empêcher aux plantes indigènes de pousser, la berce du Caucase peut causer d’importantes réactions aux personnes qui la touchent.

«La sève contient une molécule, la furocoumarine, qui est inodore et incolore. Si on a le malheur d’être exposé au soleil dans les heures qui suivent le contact avec la sève, la furocoumarine va dégrader progressivement la mélanine qui protège notre peau des rayonnements ultraviolets du soleil. Plus l’exposition au soleil est longue, plus la blessure va être grave. Ça peut créer des brûlures jusqu’au deuxième degré. Il y a même eu un cas, rare et extrême, d’amputation en Pologne

Une reproduction «phénoménale» de la plante

La berce de Cause se reproduit de façon «absolument phénoménale», souligne Nicolas Trottier.

«C’est une plante très fertile qui peut produire jusqu’à 20 000 graines par plant. Des graines qui sont viables à des proportions quand même assez élevées. Ce qui fait que, rapidement, on se retrouve avec un foyer d’invasion important.»

La présence de la plante aux abords d’un cours d’eau a fait en sorte qu’elle s’est disséminée, depuis 20 ou 30 ans, jusqu’à 51 kilomètres de Racine. Nicolas Trottier explique qu’on a retrouvé, en 2022, de la berce du Caucase sur les rives de la rivière Noire à Roxton Falls et à Acton Vale, en Montérégie.

Coupe des ombelles de la berce pour empêcher la reproduction par les graines.  (crédit photo : Quadra Environnement)

«L’éléphant est gros»

Nicolas Trottier savait, dès 2017, que le contrôle de la plante prendrait du temps. Mais pas à ce point.

«On ne s’attendait pas à ce que ce soit si long. Notre premier plan d’intervention prévoyait un scénario d’une dizaine d’années. On s’était dit : l’éléphant est gros, mais on va le manger une bouchée à la fois. À l’époque, on pensait que les graines survivaient dans le sol pendant trois ans. Mais des chercheurs en République Tchèque ont découvert une persistance de sept ans. À partir du moment où on l’a su, nous nous sommes rendus compte que notre objectif de faire le travail en 10 ans était peut-être un peu ambitieux.»

Il ajoute : «La berce du Caucase prend beaucoup de place. C’est impressionnant, une colonie de cette plante. Mais c’est seulement la pointe de l’iceberg. Ce qu’on ne réalise pas, c’est que des millions de graines peuvent se trouver sous nos pieds. Et elles seront encore là pendant des années.»

Comparaisons de la situation de l’infestation en 2019 (carte du haut) et en 2024 (carte du bas).  (crédit : Quadra Environnement)

D’où vient cette invasion?

Nicolas Trottier pense que la berce du Caucase à Racine proviendrait des graines d’une plante ornementale introduite dans un jardin privé de la région. «Comme la plupart des invasions, ça a commencé avec une bonne intention. C’est une plante très belle et spectaculaire. Elle s’est naturalisée sous nos climats et elle peut se reproduire elle-même, sans aucune aide extérieure.»

La berce du Caucase est une plante immense. À maturité, elle peut mesurer de deux à cinq mètres de hauteur.  (crédit photo : Quadra Environnement)

Trois prochaines années décisives

Les trois prochaines années seront décisives. Par la suite, les municipalités touchées devront quand même continuer d’investir des montants pour éliminer les populations résiduelles de berce.

«Il ne faudra pas se surprendre, dans les années qui vont suivre l’utilisation d’herbicides, qu’on trouve encore des plants de berce du Caucase en milieu naturel à Racine. On ne va pas l’éradiquer, mais plutôt ramener l’invasion sous un seuil qui est acceptable. Ce qui fait en sorte que dans les 10 à 20 prochaines années, quelqu’un va devoir, à chaque année, aller inspecter l’ancienne colonie avec une pelle et un sac à ordure. Pour arracher les plants qui pourraient rester», spécifie Nicolas Trottier.

C’est pour cette raison, explique Jacinthe Caron, que le CRE Estrie a mis l’épaule à la roue depuis les débuts. «Le grand défi avec des espèces envahissantes comme celles-là, c’est que la minute où on arrête, c’est comme si on n’avait rien fait. Nous avions la crainte que les municipalités disent qu’elles n’avaient pas les reins assez solides pour s’en occuper. Ça aurait alors été de l’argent mis à l’eau, malheureusement. C’est pour cette raison que nous avons investi un peu d’argent de notre mission de base pour coordonner ces démarches-là. Et que nous nous sommes assurés que les municipalités se concertaient ensemble.»

La présence de la plante aux abords du ruisseau Benda, un affluent de la rivière Noire, a fait en sorte qu’elle s’est disséminée, depuis 20 ou 30 ans, jusqu’à Roxton Falls et Acton Vale, en Montérégie.  (crédit photo : Quadra Environnement)

«Nous sommes sur le point d’y arriver»

Mario Côté croit que même si un nouveau conseil municipal était élu en novembre prochain, ce projet continuerait à aller de l’avant.

«Rendu là, ce serait vraiment malheureux de lâcher. On y est presque. Alors, nous continuons. Nous sommes sur le point d’y arriver.»

 

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