Ah oui, j’allais l’oublier, c’était l’été !
Nous avons bien mis neuf heures à rouler. Histoire de nous ménager un peu, nous les avons réparties sur deux jours. C’était au tout début du mois d’août. La destination ? Un grand lac perdu au fond des bois. Comme celui de Vigneault. Un beau lac tout bleu … Un cristal frileux. La coquine fille de ma douce et son homme, un colosse, un costaud, taillé pour se mesurer aux défis de la survie en forêt, y ont acheté un camp de pêche il y a quelques années. Elle nous y attendait sur le quai avec musique de circonstance, colliers de fleurs et boisson appropriée. Sur le quai parce que non, il n’y a pas d’accès autre que par voie d’eau. Et son homme était notre capitaine !
Nous avions tout prévu pour survivre en terre sauvage, quoiqu’il arrive. Chasse moustique en quantité, chapeau-moustiquaire, bottes et imperméables, vêtements chauds et crème solaire, à tout hasard. Mal nous en prit. Tout cet arsenal pour rien. Il a fait beau, il a fait chaud, pas un maringouin, pas une mouche noire, pas un brûlot, pas une mouche à chevreuil, ces terribles frappes à bord qui à défaut de chevreuils dans la région se satisfont des orignaux ou des humains de passage. Une retombée des changements climatiques ou une conséquence du dernier feu de forêt ayant rôdé tout près ? Allez savoir. Mais ne boudons pas notre plaisir. On se serait cru au paradis.
J’ai vite retrouvé mes vieux réflexes. Toilette matinale au bord du lac, court-vêtu, les pieds dans l’eau, jeux d’orteils avec quelques ménés aventureux, dialogue avec les Jaseurs d’Amérique qui semblaient étonnés de ma présence et grand salut au soleil qui m’enveloppait de sa chaleur. Puis sur le retour, cueillette de bleuets sauvages au grand dam d’un couple de canards qui semblaient croire que ces petits fruits leur étaient réservés. Plus tard, nous avons fait une longue balade sur cet immense lac, à scruter ses rives, le plus souvent bordées par la forêt, parfois coupées dans un saisissant cap de roc ou prenant la forme d’une longue plage sablonneuse. Entre ses cris plaintifs et ses plongées, un couple de huards a semblé vouloir jouer à la cachette avec nous, disparaissant à gauche pour réapparaitre qui à droite, qui devant.
Initié il y a belle lurette aux plaisirs des excursions de pêche en forêt boréale par Jean-Claude, mon bon ami de toujours, nous avons fini par y renoncer tous deux depuis que l’âge nous en a davantage souligné les physiques exigences. Chaque printemps, au calage des glaces, l’enivrant souvenir de nos excursions me revient. Aussi, on comprendra que ce retour dans la nature sauvage m’a fait le plus grand bien de même qu’à ma douce. D’autant plus qu’il était sans tracas. Nos hôtes s’étaient chargés des tâches les plus éreintantes. Accepter d’être pris en charge de la sorte fait partie des apprentissages des « personnes vieillissantes », apprentissages trop souvent perçus comme un rappel des limites que nous impose l’avancée en âge. Paradoxalement peut-être, cette courte escapade nous aura ragaillardis, voire rajeunis. Les apéros et repas arrosés, vacances obligent, auront bien sûr contribué à notre bonheur. Mais je crois que le plus nourrissant et le plus revigorant aura été l’affection partagée entre nous.
Mais Oh, mauvaise surprise ! De retour dans la civilisation, le rappel à la réalité n’a pas tardé. Peu de temps après notre échappée, la lessiveuse a fait défaut. À peine deux heures, peut-être trois, auront suffi à me convaincre du caractère irrécupérable du foutu circuit électronique responsable de la panne. Maudits circuits irréparables et hors de prix ! Ne reste plus qu’à la remplacer. Philosophe, le vendeur nous console en nous rappelant que l’espérance de vie des nouveaux électroménagers est de 10 ans. Avec ses quinze ans d’âge, notre machine aura bien servi ! C’est sans doute ce qu’il serait convenu d’appeler l’obsolescence justifiée…
Bien sûr, nous avons aussi revu la liste des préparatifs d’hiver à travers laquelle il nous faudra bien passer avant les grands froids et préférablement avant les premières neiges. Par expérience, nous savons bien qu’elles viendront trop tôt. Elles viennent toujours trop tôt de toute manière, quelles que soient nos résolutions et nos bonnes intentions.
Hélas, pendant tout ce temps, l’état du monde n’a pas beaucoup évolué. Difficile de savoir où va le climat, où va l’économie, où va Musk, où vont les guerres. Et que trament encore les dictateurs ? Sans compter que nous continuons inexorablement de vieillir. Mais toutes ces grandes et petites misères n’ont soudainement plus le même poids. Nous aurons eu pour nous le soleil, tous les verts de l’été et cette course à relai des fleurs qui se sont succédé balisant la saison de leurs mille couleurs et mille parfums.
L’automne peut venir !