Ma mère est dans les plus vieilles d’une famille de seize enfants. Une famille québécoise rurale du milieu du vingtième siècle. Un clan nerveux. Des parleurs, des farceurs. Des allumés qui pratiquaient l’art de l’ironie et du pince-sans-rire abusivement. Toujours dans l’humour, la joke, la farce.
J’ai grandi avec des mononcles et des matantes comiques qui avaient du fun, qui cherchaient l’fun. Ça swingnait. J’aimais ça, c’était pas plate. Avec les cousines et les cousins de mon âge, on quêtait des cigarettes dans les partys, on jouait à l’argent, on se faisait l’oreille à l’humour ambiant, un peu noir, gouailleur, mais jamais con. On apprenait le code. On devenait des Pinard.
Quand les plus jeunes frères et sœurs de ma mère se sont mariés, les bébés se sont mis à pleuvoir. Le charme très premier degré de ces petits êtres adoucissait le mode ultra-ironique de cette famille. La candeur des bébés désarçonnait la moquerie à venir, le piquant de la réplique. Devant leurs finesses, les rires devenaient moins tendus, les visages moins crispés.
Je me souviens de Catherine, ma petite cousine, la fille d’Agathe. Je devais être au tout début de mon adolescence, elle, une p’tite de deux ans, sûrement moins. On est dans la grande cuisine, chez nous. Ma mère, Agathe et d’autres tantes sont assises en demi-cercle chacune sur une chaise berçante.
La petite Catherine a la réputation d’être une dégourdie, une géreuse de bécosse. Je suis là, j’écoute tout, j’entends tout. Tout le monde sourit et se berce. Catherine est le centre de l’attention, elle se promène partout, confiante, curieuse, fidèle à sa réputation. Un jeu de cache-cache s’organise, est-ce que c’est moi qui l’initie? Je ne sais pas. Agathe se cache, Catherine doit la trouver.
Elle court partout, salon, ici, là, derrière les chaises, en dessous de la table.
Elle prend ça très au sérieux sans montrer aucune réelle compétence (c’est une enfant). Je trouve ça drôle et beau de l’observer. C’est pour elle une tâche absolument importante, il n’y a plus rien qui existe que ce désir de trouver sa mère.
Pourtant, ce pourrait n’être qu’une mouche morte, qu’un bout de fil, qu’un petit bouton et sa quête resterait tout aussi engagée et malhabile. Je la regarde et souris. Je ne suis pas si loin, à mon âge, de cet état de complète absorption où la frontière entre soi et le monde n’existe pas, où tout est un, sans réflexion.
Je regarde Catherine et me repose peut-être déjà du poids de ma conscience. Et je suis fasciné de voir que chacun de ses gestes imite la vie consciente, veut cette vie, va vers cette vie. Je ne sais pas si je comprends ou ressens tout ça. J’aime voir Catherine, le visage grave, faire ses allers-retours appliqués derrière la forêt de chaises berçantes où sa mère n’aurait jamais pu se camoufler convenablement.
J’aime cette candeur, sublime, lorsque, le plus sérieusement du monde, elle ouvre mon sac d’école pour vérifier si Agathe n’aurait pas eu l’idée audacieuse de s’y cacher.
Mon rire mêlé à celui de mes tantes et de ma mère.
Notre grand rire franc et lumineux.