Je ne me souviens plus de grand-chose, comme enfant, de mon premier jour à la maternelle. Je sais que ma mère était là, les parents devaient nous accompagner. Je me souviens de tante Louise, la prof. En fait, je me souviens de son nom. D’elle? Une image floue. Une forme : oblong. Je ne sais pas si c’est son corps qui avait cette forme, c’est peut-être à cause de son nom, Louise, un nom plein de rondeur.
Ma mémoire est fragmentaire, sans continuité, souvent dématérialisée. Une image, une forme, une impression.
Il paraît que, malgré nous, nous déformons souvent nos souvenirs. Probablement que notre cerveau les rattache à des thèmes de notre présent, qu’il révèle à la conscience les souvenirs qui résonnent face à nos préoccupations du moment, qu’il les transforme, les confond avec des rêves, des ouï-dire ou les invente carrément pour donner du sens aux péripéties de nos vies.
Se souvenir est un récit. Une histoire qui veut se tenir. La vie, elle, n’a pas de sens (au sens premier); elle avance, recule, attend, repart, recule à nouveau, court devant, attend encore, passe à côté, creuse, saute et ainsi de suite, absurdement. La vie est insaisissable. Elle a trop de bouts. Elle n’a de sens que dans un point : l’instant présent. Le passé est un regard, déjà une création. Le passé est langage. Le mot est souvenir. Il cherche la vérité qu’il ne retrouvera jamais.
***
Premier jour à la maternelle. Tante Louise est là. Je tiens la main de ma mère. Mes cheveux sont droits, très blonds. J’ai la coupe René Simard.
Un coin de la classe. Des enfants avec leur mère. Ma mère, tout près.
Une robe blanche.
Une robe blanche sur le corps de cette petite fille. Cette vision installée dans mon cerveau comme une tache imprimée sur la rétine. J’ai 5 ans. Je ne connais pas encore le concept de la beauté. Je n’ai aucune idée de ce que peut être l’amour à part celui ressenti pour ma mère. Je n’ai pas beaucoup de mots, à peine un passé. Je suis un enfant. Je vis.
Bout par bout.
Je me souviens, plus tard ce matin-là, nous sommes assis, je suis à côté d’elle, cette petite fille en robe blanche. Tante Louise nous demande de nous lever. Ce faisant, nos mains se touchent.
Qu’est-ce que je peux ajouter à cette histoire?
Je ne me souviens plus de rien.
***
C’est le temps des pommes. C’est inscrit dans mon corps d’éducateur. Ordinairement, ces jours-ci, je chantais tous les matins avec les enfants la chanson de Micho qui est monté dans un grand pommier. On s’amusait beaucoup avec cette chanson et ses grands gestes théâtraux.De grandes enjambées dans une échelle pour « Micho est monté dans un grand pommier », le bras qui descend sur le corps vigoureusement pour « la branche a cassé », un grand effondrement sur le plancher pour « Micho est tombé ».
Dès ma première année comme prof de maternelle, j’avais inventé une variante : à la partie « ah, relève, relève Micho! », on faisait les endormis en se relevant très… len… te… ment… ou les dégourdis se relevant dunbondrapideetexcité! On la chantait plusieurs fois, sans se lasser.
Je me souviens, à mon tout premier jour, avoir captivé mon groupe avec cette activité. Les mères étaient présentes, elles riaient. Je voulais avoir leur confiance. Comme celle des enfants. Mon objectif était qu’ils se sentent bien, simplement.
Est-ce que j’y arrivais?
Aller savoir ce que les enfants vivent le premier jour d’école…