Je suis entré à l’université par la petite porte, en suis sorti par la même. Pas de mortier, pas d’affaire de toge, j’ai reçu mon diplôme par la poste pis c’est ben correct de même.
Au lendemain de mon dernier jour de stage en février 92, je partais. J’avais été engagé par téléphone par un conseil scolaire francophone du nord de l’Ontario pour remplacer au pied levé dans une classe de 6e et 7e année. Mon père m’avait laissé au terminus Berri-de-Montigny avec ma grosse valise qu’un vieux fer à repasser de ma grand-mère appesantissait; ça pis mon âme ce jour-là, ça devait ben peser mille livres (pis en plus j’avais jamais repassé de ma vie). J’embarquais dans une Greyhound pour 24 heures d’autobus avec arrêts fréquents, je partais pour 5 mois minimum. J’avais le cœur dans la flotte, mon père braillait, mais c’t’égal, je partais à l’aventure, allez, pince-moi la vie que j’avais écrit positivement dans mon journal. Pas encore rassasié de mes chemins cabossés, j’en voulais encore plus, des trails de marde. J’allais être servi.
Du voyage, je me souviens d’aurores boréales pas loin de North Bay, de villages pauvres à l’aube dans le boutte de Wawa, de personnages louches qui montaient dans l’autobus, d’un sentiment de bout du monde à l’approche des rives du lac Supérieur, ma destination finale. Je l’avoue ici : je m’ennuyais déjà de ma mère.
La directrice, appelons-là madame Gingras, une femme un peu pincée avec un accent (anglais), m’avait accueilli (moi et ma valise) au piquet d’arrêt d’autobus. J’avais dormi dans un motel la première nuit, comme une bûche : 24 heures d’autobus, pas express deux minutes, vous essaierai ça.
Le lendemain, ça partait. J’avais pris possession de mon logement réservé par madame Gingras, un sous-sol meublé brun, pour ne pas dire miteux, d’un bungalow habité par un Franco-Ontarien agressif pas content d’avoir un voisin d’en bas.
Je capotais pas. J’avais bien dormi, j’étais mobilisé, j’étais un grand garçon maintenant. J’avais visité l’école, rencontré les élèves, les collègues. Ma classe se trouvait dans une annexe, sans toilette, du côté francophone du conseil scolaire. Les enfants avaient un accent, les profs avaient un accent, ceux qui n’en avaient pas ne comprenaient pas des expressions comme dormir comme une bûche, je débarquais dans un autre pays, un pays, somme toute, anglophone.
Je capotais pas. J’apportais mon sourire, mon énergie, le monde avait l’air content. Je comprenais que j’arrivais comme un sauveur, que l’enseignante d’avant les avait lâchés sans avertissement.
Ma classe se composait d’élèves de 11, 12 ou 13 ans -plusieurs doubleurs, tous de niveau de français de 2e à 4e année- qui m’avaient accueilli avec un drôle de sourire en coin…
Je me souviendrai toujours du premier matin en classe, j’arrivais tout frais et pas trop fripé (j’avais repassé une chemise la veille sur les coussins du divan en sacrant). J’avais pas encore dit un mot, au son de la cloche, les élèves se sont levés d’un bloc, la main sur le cœur. J’avais eu l’air surpris.
– C’est le time du Ô Canadâ, qu’un élève me dit.
Rien ne se passe. Je regarde autour de moi, un intercom, quelque chose, je m’interroge.
– La musique va commencer?
– Non, c’est la teacher qui mettait le cassette, she left with, i guess…
– J’en ai pas de cassette…
– Il faut fâir le Ô Canadâ…
J’étais maintenant un professionnel, pas question d’être rebelle, j’avais tout à prouver, les choses obligatoires, j’allais les faire sans rouspéter. Alors je me suis mis à chanter a cappella, la main sur le cœur, ce bon vieux Ô Canada, terre de nos aïeux. Un moment d’anthologie.
J’avais travaillé les premières semaines, du matin au soir, 7 jours par semaine, à débroussailler une classe laissée à l’abandon, à me démêler, à planifier. Après un mois, j’avais l’impression que deux années s’étaient écoulées. Je vivais dans une autre dimension, une sorte d’irréalité. J’étais complètement dépaysé. Mes élèves étaient très difficiles, démobilisés, j’arrivais à peine à les motiver.
C’était dur, je capotais pas encore, mais il me restait encore 4 mois et le pire était à venir…