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Ce texte, je n’en avais pas encore écrit un mot, je le porte en moi depuis septembre, comme une tâche remise à plus tard, une tâche agréable qu’on garde pour la fin.

Ce n’est pas ça.

C’est un texte qui me remue avant même de le saisir, de savoir ce qu’il contient, comment je peux l’écrire, s’il peut exister.

Ce n’est pas ça.

C’est un texte comme une rivière que je me promets de rejoindre, une rivière calme, aimante et sur le bord de laquelle j’aimerais pleurer longtemps.

Je ne sais pas.

Je n’ai rien. Ou presque : j’ai deux choses. Deux choses debout, là, plantées comme deux piquets, posées comme deux cailloux sur une table. Seulement ces deux choses. Je n’ai pas de liens, pas de cependant, pas d’ainsi, pas de par ailleurs, pas de paragraphes. Deux points.

Mon écriture. Celle des enfants.

***

Mai se termine. Mon gazon est à son meilleur, d’un vert riche, frais tondu. Je le regarde, c’est réconfortant.

Mai se termine, l’année scolaire achève… Dans la classe, mai était le mois de l’écriture. On écrivait. La chanson J’écris de l’album de chansons de Marie-France Labrecque qui m’a accompagné toutes ces années, cette chanson, donc, au début de mai, partait le bal : « Moi j’écris des mots / je pense avec des mots / j’écris des mots pour dire / les jours de pluie / des mots pour dire / le soleil luit ».

On écrivait. Comme on pouvait, avec les sons qu’on connaissait, sans se casser la tête. On écrivait comme on roule une boule de neige : on la roule de la grosseur qu’on veut, à la force qu’on a. On en fera le corps, l’oreille, un bouton, ce n’est pas important.

Je préparais un petit cahier sur les métiers. Chaque enfant y dessinait des actions du métier qu’elle ou qu’il avait choisi. Je leur demandais ensuite d’écrire les actions dessinées. Comme tu le peux! Allez! On est bons, on écrit!

J’avais de tout.

Pour le dessin d’un facteur qui ramasse une lettre, je pouvais avoir :

le fte ra mas lèt

Pour le dessin d’une policière qui menotte un voleur, je pouvais avoir :

pomtlvr

Pour le dessin d’une ballerine qui danse devant un miroir, je pouvais avoir :

La barlin dans devan u mirouar

Wow! Vous écrivez!

Certains commençaient à comprendre la nécessité de l’espace entre les mots. Certains n’avaient pas encore intégré le concept du mot lui-même. D’autres filaient comme des étoiles et s’exprimaient déjà par l’écriture.

Peu importe le niveau.

Les enfants naissaient à l’écriture.

***

Je porte depuis l’enfance ce désir d’écrire, ce tourment, ce miroir fracassé. Je n’en ai rien fait, ou presque.

Ce que j’ai fait, c’est mon métier. Simplement.

Il a fait écrire les enfants.

***

J’ai parlé à ma mère de ces deux choses séparées que je voudrais marier. J’ai réprimé un sanglot. Elle m’a regardé.

« Ça t’émeut?

-Toujours.

-Pourquoi?

-Je ne sais pas. Ce n’est pas si important. J’aimerais que les autres s’approprient ce lien, trouve leur réponse. J’aimerais transmettre mon émotion.

-Les autres, c’est qui?

-Les lecteurs, les lectrices.

-Tu te prépares une noce, toi là, ça se peut-tu? »

J’ai arrêté de me bercer. J’ai vu le jeune visage souriant de ma mère apparaître à travers celui de sa vieillesse. Elle était belle.

Toute là.

« Merci maman, j’ai mon texte. »

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