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Parfois, je retourne dans le livre d’avant. Le livre des paysages. Les mémoires d’enfants prennent le bord. Je me retrouve sur mon vélo, soufflé par la beauté, par le champ, par les arbres, par l’air. Ça donne un coup, ça refait mal.

C’est arrivé la semaine passée. Le printemps m’a donné une volée. C’est dur à exprimer. Tu t’envoles, mais t’es rabattu.

C’est inexprimable, c’est ça qui fait mal. Ça devient une obsession. Une pulsion. Un besoin.

Ferrat disait qu’il ne chantait pas pour passer le temps. Je comprends ça. Je n’écris pas pour passer le temps. Il y a une cause. Un péril.
Un sous-texte.

***

Le ruisseau chante derrière moi. Une petite fleur solitaire tremble au pied du tronc de l’arbre qui me cache. Je me suis assis sur le petit banc en retrait de la piste cyclable. Je le connais depuis longtemps ce petit banc. Un banc très simple, étroit, fait de planches épaisses, sans souci d’apparence. Il était petit, presque trop étroit pour deux personnes, mais robuste et invitant dans sa simplicité. On aurait dit le trône d’un roi modeste. Je m’y suis assis souvent, appuyant mon vélo contre l’arbre. La vue donnait sur la ligne des peupliers longeant la piste, le clocher du village au loin et le grand pré des Houde à nos pieds. Je ne m’y étais pas arrêté depuis longtemps. La nature, naissante, faisait contraste avec lui, vieilli et ayant perdu de son coffre. Son bois, verdi et glissant, l’avait enlaidi. Ses assises, rongées par la pourriture, abîmaient la confiance. Sur le siège, près d’un bras, un trou sombre et mou témoignait de sa lente décrépitude. J’ai dû le palper, le presser avant de m’asseoir pour être sûr. Je me suis posé sur cette vieille chose. J’ai vu la fleur, à mes pieds, comme une petite sœur égarée. Sa solitude semblait consolée par la vie nouvelle, en multitude, autour d’elle.

Le banc prenait toute la place. Aussi défraichi qu’il fût, il devenait la nature vivace que je voyais et que je ressentais. C’est de lui que je devais parler, ce banc. L’idée s’est fixée en moi, agrippée comme un hameçon. J’ai pensé à un poème, une chanson, une façon de marier, de correspondre. Illusion. Tout tenait en lui, ce banc. Je ne pouvais rien y faire, rien dire de plus. Alors je me suis jeté par-dessus bord, le fil accroché aux entrailles. Je me suis rincé dans une eau fraîche et printanière, croyant être soulagé. Pourtant, les requins avaient flairé l’odeur du sang.

Je suis sorti de ce cauchemar, toujours assis sur le petit banc. Le printemps pleuvait son soleil, son ruisseau, sa forêt. Le banc continuait de m’obséder. Je m’enlisais dans cet acte de déconstruction. Suis-je déjà devenu fou?

Plus loin, du côté du tournant de la piste, la grande clôture donnant sur le champ des Turcotte était ouverte. Le pré du livre de l’Avalé. Là où j’avais pris un micro, où, sous une tente, je vendais des copies. Le jour où mon père, de son ciel, est venu pour me tenir la main.

Je me suis levé. J’ai laissé mon vélo à l’arbre. J’ai marché jusqu’au pré. J’ai prié, sans m’agenouiller. Es-tu là papa? As-tu retrouvé ton esprit? J’ai peur.

Je me suis retourné pour regarder le petit banc.

C’était moi, vieillard.

Fou?

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