Josette était directrice d’une garderie publique (avant les CPE) qui comptait trois succursales. L’une à Brossard (où je n’ai jamais travaillé), l’autre à Longueuil et la dernière, la plus grosse (une centaine d’enfants) à Boucherville. Au début, je faisais des remplacements à Longueuil. Ce n’était pas loin de chez nous. J’allais travailler à pied, d’un pas vigoureux. J’étais focus, comme on dit. Je devais gagner ma vie, je venais de lâcher l’école, je n’avais plus de prêts et bourses, mes parents n’étaient pas dans le décor, ma sœur avait ses problèmes à elle; ce travail était ma bouée de sauvetage.
Je me souviens, c’était le début du printemps 86, je marchais en me répétant intérieurement (ou à voix basse) des ritournelles pour me calmer. Ce jeu mental, je m’en rends compte, est resté tout au long de ma vie, au travail principalement, mais aussi dans la vie de tous les jours. Une sorte d’écholalie intime qui devait m’apaiser, réguler mon stress. J’en ai « chantées » des rengaines en moi-même! Je ne sais pas si je suis le seul à faire ça, mais, si oui, le « bizarre » en moi vient de se démasquer…
Toujours est-il, ce printemps-là, comme jeune travailleur sans expérience, confronté à tant d’inconnu, j’étais un peu sur les nerfs.
Don’t panic Nic! Don’t panic Nic! Don’t panic Nic! Don’t panic Nic!
Je me répétais ça sans arrêt, comme un con, en marchant vers la garderie. C’était d’autant plus niaiseux que j’étais un parfait unilingue…
Mais pour vrai, je n’étais pas si apeuré. Ça se passait bien.
Je me souviens du ramassage des débarbouillettes, les premiers jours, à Longueuil. On devait distribuer un linge humide à chaque enfant après le repas pour qu’il se débarbouille. Ça devenait un jouet que ces petits -des 3 ans assez tannants- lançaient, faisaient tournoyer dans le visage des autres ou échappaient par terre; ça prenait du temps pour qu’ils nous les remettent, ça niaisait, les éducatrices étaient tannées d’intervenir. L’idée m’était venue de faire semblant que mon bras était une grue. Je prenais une grosse voix caverneuse.
Posez vos débarbouillettes sur la table!
Les enfants, impressionnés par cette voix, obéissaient facilement. J’élevais mon bras dans les airs, les doigts de ma main tout écartés faisaient un grappin, et je l’abaissais tranquillement pour agripper le chiffon. J’avais huit spectatrices et spectateurs ébahis qui en redemandaient chaque jour. Parfois, j’en échappais pour les faire rire. J’appelais ça le jeu de la grue à débarbouillettes. Le ramassage n’était plus un problème.
J’étais conscient que ces petits trucs utiles et amusants n’étaient pas garants de ma compétence, que je devais aussi réussir à sécuriser les enfants en gérant le temps, les transitions, l’habillage, les conflits, les tristesses. Faire la job quoi! Je crois que j’y arrivais. J’ai fait des erreurs, j’étais jeune, nouveau, un homme… J’ai dû me faire regarder croche, c’est clair. Je me souviens justement du regard hautain de cette éducatrice constatant qu’un de mes enfants circulait sans ses souliers; je ne les avais pas trouvés au retour de dehors et j’avais décidé qu’on partait quand même pour ne pas être en retard au dîner. Je me souviens de m’être dit que ce n’était pas plus grave que cela, que je retournerais les chercher, mais que l’important était de ne faire attendre personne. J’avais soutenu ce regard.
Je me battais. J’assurais.
Je retournais chez moi, encore tendu -ma vie demeurait sur la corde raide -, mais heureux et fier. Fier comme un con…
Who’s the best? I’m the best! Who’s the best? I’m the best! Who’s the best? I’m the best.
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