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Des manteaux. Des mitaines. Des tuques. Des foulards. Des cache-cous. Des bottes. Des salopettes.

On est au Canada. Au Nord. Ici, chez nous. On est des nordiques. Les Nordiques du monde. Ça commence dans l’enfance, aux premières neiges. Ça commence avec cette brochette d’objets. Comme une chanson. Allez, les enfants!

Des manteaux. Des mitaines. Des tuques. Des foulards. Des cache-cous. Des bottes. Des salopettes.

***

Je marche sur la rue de la Rivière. Je jette un coup d’œil sur la cour d’école, là-bas, de l’autre côté du garage de Jean-Jacques. La première neige est tombée, 5 centimètres. Les crazy carpets sont sortis. Au moindre couvert de neige, on les sortait, c’était la fête. En après-midi, on était rendus sur le gazon.

Je m’arrête. Je reconnais des manteaux. Ça me fait sourire. Je m’ennuie. Je n’y vais pas. Je pourrais. J’ai passé le flambeau. Je m’étais dit que je passerais sur la cour cet automne. Noël approche, je n’irai peut-être pas. Pourtant, je ne suis pas loin. Juste à côté. Je pourrais y aller.

***

Je les voyais arriver dans le corridor comme une bande d’astronautes le sourire dans la face. Premier matin de neige. Des beaux habits neufs tout propres et beaucoup trop grands. Des suits de l’hiver dernier maganés, petits, mais qui font encore l’affaire.

Début de l’habillage d’hiver. Pas toujours facile de gérer ça! Un art. Subtil mélange de confiance et de patience. Partir avec l’idée qu’ils sont capables et que ça prendra le temps que ça prendra. Prendre, comme adulte, cette posture de conviction, principe premier, au fond, d’une bonne gestion de classe. Irradier l’assurance. Évacuer, en soi, les doutes, les hésitations. Un seul tremblement peut provoquer une réaction en chaîne, une brèche dans laquelle leur impulsivité tout enfantine ira s’engouffrer, causant une autre insécurité, ouvrant une autre brèche et ainsi de suite jusqu’à l’installation d’un beau free-for-all. Être ferme et chaleureux en même temps. Aider par sa seule présence, sans trop intervenir. Préserver, par un mot renforçateur, un sourire, un effet de voix plus grave ou un silence dense au lieu d’une réprimande, ce calme mobilisateur.

Aux premiers jours, les enfants sont déconcertés de ne pas recevoir d’aide directe pour l’habillage. T’es capable! Ils s’y mettent, frappent un mur et reviennent à la charge. Non, t’es capable! Ils y retournent. S’ils reviennent, on examine ça. Un zipp brisé, un foulard à serrer, une bretelle trop lâche. On juge au cas par cas. Une aide directe est requise parfois : il faut le reconnaître et aider. Ou on peut proposer qu’ils demandent un coup de pouce à un ami ou une amie; le but est de rendre autonome. Ou bien donner des trucs : mettre son manteau après les bottes pour être plus souple, ses mitaines avant les manches pour bien sceller les poignets, ne pas changer de main pour monter le zipp.

Essaie trois fois, tu viendras me voir après si t’as pas réussi. Presque toujours, ils y arrivent.

Assis sur le banc, bien serrés et empaquetés, contents d’eux-mêmes finalement, ils attendent le dernier ou la dernière à qui on laisse le temps qu’il faut. Impossible de contourner cela : il y aura toujours un dernier ou une dernière.

On est prêts, on y va!

Revoilà nos astronautes, en sens inverse, prêts pour leurs premiers pas sur la planète blanche.

Après une semaine, on bouclait tout ça en 5 minutes, je n’avais presque plus rien à faire. On pouvait profiter de la neige plus longtemps.

***

Je ne la sens plus, la neige. Ce n’est pas la covid, c’est arrivé progressivement, bien avant, c’est génétique, je crois. L’odeur de la neige est un souvenir, pour toujours. Il faut que je retourne dans mon enfance pour la garder en vie.

Je suis dans la vieille maison, un matin. Tout est blanc à la fenêtre. Il y a cette lumière nouvelle. J’ai 5 ans. Ma mère est là. Je m’habille. Un manteau brun. Des salopettes bleu marine. Des bottes avec une attache en métal. Des mitaines noires qui montent jusqu’aux coudes. Un foulard blanc sur le nez tricoté par ma mère. Une tuque rouge avec une feuille d’érable blanche. Je suis prêt. Je ne me souviens pas si j’ai eu de l’aide. Le petit autobus jaune arrive au loin. J’ouvre la porte.

Je la sens, là, la neige.

 

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