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Toutte est temporaire, l’hiver est temporaire, la vie est temporaire, j’espère juste que la mort l’est aussi. –DANIEL BOUCHER

Ma mère est partie. Elle n’est pas morte, elle est partie revivre à Nicolet, son pays d’enfance. Elle a quitté Racine, ne s‘y est jamais enracinée. J’ai perdu cette proximité retrouvée avec elle. Elle n’est plus là, dans ce petit logement où j’allais la visiter plusieurs fois par semaine, où l’on parlait de « choses profondes » tout en se moquant de notre « profondeur ». Je réussissais à la faire rire souvent, j’essayais d’imiter le ton volontairement plat et niais de mes oncles lorsqu’ils échappaient un de ces lieux communs que le bon peuple prend pour de la sagesse. Ben c’est ça, faut lâcher prise, qu’est-ce tu veux, on n’a pas le choix. Juste ça, une phrase comme ça, dite avec le ton de mes oncles, ça pouvait la faire éclater de rire, la sortir d’un coup de son marasme, de son angoisse, de sa détresse.

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Mes oncles, du côté de ma mère, sont tous morts, les six. Le plus jeune, Simon, mon oncle Simon, mon préféré qui jouait avec moi quand j’avais trois ans quand on restait encore à Longueuil, qui m’a élevé, comme il disait avec son sourire en coin, qui m’a accueilli quand mes parents se sont séparés, il est parti au début de l’été. Vite à part de ça : tout allait bien, puis bang, quelques semaines, c’est fini. C’est fini, c’est de la marde! qu’il répétait sans cesse la dernière fois que je l’ai vu. Il se reprenait : tu penses-tu que quelque chose m’attend? Il ne me laissait pas le temps, il se répondait à lui-même : j’espère! Puis il reprenait sa rengaine : c’est fini, c’est de la marde!

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Mon père est mort en mars 2021. Je l’ai enraciné moi-même dans le tournant de la piste cyclable. Je l’ai rentré dans la terre, je l‘ai accroché aux branches des peupliers, je l’ai roulé dans le champ des Turcotte, je l’ai lové dans les lames de neige poudreuse. J’ai attendu qu’il meure, qu’il ne se sauve pas, qu’il soit bien tranquille, puis je l’ai enraciné dans mon passage. Il ne vient pas d’ici lui non plus. Il vient d’où je viens. Mes racines s’étendent sur tout le sud du Québec. C’est ça qui m’est arrivé.

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L’été, cette année, est comme une balle de baseball humide et décousue oubliée sur le bord d’un ruisseau et dardée par le soleil. Un été bien posé, poisseux et plein de lumière. J’écris sous la brise, à l’ombre sous les feuillages d’un arbre dans ma cour arrière à Racine où je suis propriétaire depuis vingt ans. Je ne suis pas un bon propriétaire. Tout le monde par ici conduit des pickups et savent visser des vis. Je ne suis pas manuel pour deux sous, ça me stresse, je n’aime pas ça entretenir tout ça, mais je le fais. Tâche! disait ma grand-mère. Au fond, je n’aime pas vraiment les choses fabriquées, sauf mon vélo, ma piscine et mon gazon. Mon gazon, je l’ai fait au pic et à la pelle juste avant la naissance de mon fils. J’ai un fils. Il vient d’avoir 19 ans. Je lâche ça comme ça, l’air de rien, mais c’est probablement lui qui est en dessous de tout ça.

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Mon père et ma mère se sont remariés vers je ne sais plus trop quelle année. Ça ne m’avait rien fait. Ils auraient pu rester séparés, ça ne m’aurait rien fait. J’avais traversé la tempête tout seul, je m’étais arrangé, arrangez-vous. Je n’étais pas fâché, ni amer, je n’avais plus besoin d’eux c’est tout. Ils semblaient heureux. Ben content pour vous autres!

Ils étaient venus me voir à Racine à la fin du siècle, ils étaient venus voir les enfants. On les avait attendus avec fébrilité. On avait préparé des chansons. Je me souviens de les voir arriver tous les deux sur la cour. Ma mère était transportée par toute cette enfance, cette beauté. Elle riait, leur parlait, ils parlaient et riaient ensemble. Ils étaient du même âge. Mon père souriait, émerveillé aussi, tendre avec eux, il faisait des oh! et des ah! impressionnés et doux.

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Je pars à vélo, je regarde du coin de l’œil le logement de ma mère, pas de rideaux, pas de télé ouverte, il est vide. Je n’accoterai plus mon vélo sur le petit arbre près de l’entrée de sa résidence. Je n’ai pas eu besoin d’elle toute ma vie de jeunesse et d’adulte. Je n’ai pas voulu de sa proximité, de son inquiétude, de sa curiosité, de ses intrusions. Je n’aurais pas pu. Je l’ai accueillie il y a deux ans : à 56 ans, je pouvais dire que j’étais devenu un adulte. Je me suis occupé d’elle comme d’un enfant. Les rôles inversés. Elle est partie et, là, je m’ennuie d’elle comme le petit garçon de sa maman.

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Août s’en vient. Les enfants iront bientôt acheter leurs crayons avec leurs mères stressées. Très à l’avance. Cette semaine, j’ai vu passer les jumelles à vélo devant ma maison, celles que j’ai eues dans ma classe à mon avant-dernière année. Ça monte un peu, ma rue. Je me souviens, à quatre ans, elles avaient de la misère à marcher dans la neige épaisse. Là, elles montent la côte en pédalant. Impressionnant! Elles m’ont vu. Je les distingue encore. Diana a lâché son guidon d’une main pour me saluer. Grace a crié mon nom. Une sorte de cri de joie. Un cri de vie. Que j’ai entendu un million de fois dans ma vie.

NICOLAAAAAS!

(Ce texte est le dernier de la série intitulée « Les enfants et moi » que j’ai commencée en septembre 2024. Je regrouperai cet automne plusieurs de ces textes, les réviserai, les enroberai d’une introduction, d’un épilogue et d’illustrations de mon cru pour en faire un livre que je publierai au printemps 2026, je l’espère. Ce livre s’intitulera « Les mémoires d’un éducateur de campagne ». Merci au Val-Ouest d’avoir accepté de publier ces textes. Merci à vous, chères lectrices, chers lecteurs, de m’avoir accompagné dans ce retour aussi personnel que professionnel dans mon monde de l’enfance.)

Lire la chronique précédente :

Visiter le site de Nicolas Proulx :

1 commentaire

  • Merci Nicolas pour tes beaux textes et récits. Je te souhaite de terminer ton projet de livre tel que tu le souhaites.

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